Noël Mamère : "À Notre-Dame-des-Landes, les habitants vivent une liberté à laquelle on n'est pas habitué"
Par Christine SiméoneNoël Mamère est le personnage principal d'une BD reportage dessinée par Raphaëlle Macaron aux éditions du Faubourg, "Les Terrestres". Tous les deux sont allés à la rencontre de ceux qui expérimentent au quotidien une nouvelle façon de vivre en société sur une planète en pleine transition écologique.
Les éditions du Faubourg ont fait se rencontrer la dessinatrice Raphaëlle Macaron et l'écologiste de longue date, Noël Mamère, ancien candidat des Verts à la présidentielle de 2002 et ancien maire de Bègles. En feuilletant cette bande dessinée, on découvre ce que pourrait être cette planète si toutes les expériences qu'on y découvre se généralisaient. Elle serait respectueuse de la biodiversité, économe en énergie, et solidaire.
Pour nous la faire découvrir, l'écolo et la dessinatrice ont fait un tour de France des initiatives les plus abouties de transition écologique. De la ZAD de Notre-Dame des Landes, au QG de Pablo Servigne, en passant par des éco-lieux comme "La Bascule" en Bretagne ou "La paille et le grain" à La Réole en Gironde.
Durant ce voyage, Noël Mamère et Raphaëlle Macaron dialoguent sur l'urgence des questions climatiques et sur les solutions possibles. La jeune dessinatrice s'alarme de la situation, inquiète pour l'avenir, le "vieil" écolo est plus mesuré, et défend l'idée qu'il faut continuer à faire de la politique, manifester et tenter des expériences pour trouver des solutions.
"L'apprentissage d'une liberté à laquelle on n'est pas habitué"
À La Réole, commune marquée par la désindustrialisation en Gironde, "un couple a construit sa maison en terre, autonome en eau et électricité. Bientôt ils ouvriront une épicerie sociale et solidaire dans le village, car ils ne se sont pas mis à l'écart du monde, au contraire, ils interagissent avec le village", se réjouit Noël Mamère.
"J'ai choisi des lieux et des expériences qui ne relèvent ni du survivalisme ni d'un retrait du monde, au contraire", explique-t-il. Les dialogues ont parfois quelques accents de naïveté, mais ils permettent d'entendre ces pionniers qui expérimentent de nouvelles formes d'économie, d'agriculture ou d'organisation. Pour Noël Mamère, "ce sont celles et ceux qui ont fait le choix de ralentir, de redevenir des 'terrestres', comme le dit si bien le philosophe Bruno Latour, de se reconnecter à leur milieu... Bref, d’être pleinement des 'vivants'. Le réalisme n’est plus là où on le voyait !"
Textes et dessins semblent nous dire qu'il faut choisir les oiseaux plutôt que la capitalisme, mais on retient surtout qu'il y aura plusieurs façons de s'extraire du capitalisme, la principale solution pour l'instant consistant à faire dissidence_._
Selon Noël Mamère, le lieu le plus emblématique, et le plus abouti, reste celui de Notre-Dame des Landes. "Il est matriciel ", explique l'écologiste, qui a eu l'occasion d'en voir l'évolution depuis le combat contre l'aéroport. Aujourd'hui les 1600 hectares ont vu pousser dix villages reliés entre eux, une production maraîchère, une coopérative bocagère, un élevage de moutons. Les habitants fournissent de la nourriture à des militants à Nantes, où à ceux qui viennent s'approvisionner sur le marché "non-marchand". "C'est devenu un foyer de biodiversité et les habitants y font un apprentissage de la liberté, une liberté à laquelle on n'est pas habitué depuis la naissance, avec un souci de la compréhension de l'autre. Je dirais que c'est le goût des autres", explique Noël Mamère.
Certes Noël Mamère n'a jamais franchi le pas vers ce type d'existence, n'a jamais "tout lâché", comme il dit, et il est resté engagé et en prise avec la société, ses débats. Aujourd'hui encore, il est de plein pied dans la bataille des écologistes pour la future élection présidentielle et signait une tribune dans Le Monde le 11 septembre pour exhorter les écologistes à "prendre la tête d’un rassemblement en mesure de transformer la société"__.
"Je n'ai pas franchi ce pas, mais je ne regrette pas, car j'ai mené une vie de journaliste qui consiste à comprendre le monde , et une vie politique active." Noël Mamère est de la génération mai 68 : "Certains de mes copains ont souhaité un retour à la Terre, et j'en ai vu les échecs. Aujourd'hui la génération actuelle est extrêmement courageuse en acceptant de sortir de son confort, de tout lâcher pour chercher à habiter la Terre autrement."
"Toute les sociétés qui s'en sortent sont celles où l'entraide prime"
Lorsqu'il rencontre l'agronome Pablo Servigne, parfois caricaturé en "gourou de la collapsologie", la discussion s'engage sur les effondrements souhaitables selon lui, comme celui du capitalisme, et d'autres, qu'il faut éviter, comme celui de la biodiversité par exemple.
Noël Mamère, lui, retient des thèses de Servigne son plaidoyer pour une société solidaire, sa pensée "fortement dotée d'espérance", car pour lui le propos de Servigne, "c'est le contraire du nihilisme". "D'une main il alerte sur la menace de l'effondrement mais de l'autre il pose les jalons pour l'éviter. Dans son livre "L'entraide, l'autre loi de la jungle", Servigne démontre que toute les sociétés qui s'en sortent sont celles où l'entraide prime", rappelle-t-il.
La question qui reste en suspens, dans la bande dessinée comme dans la réalité, c'est de savoir comment passer sans violence d'une société verticale et centralisée, à un système horizontal. Dans la bande dessinée, Noël Mamère semble inviter le peuple à se réveiller.