Nous sommes partis en tournée avec Tinariwen, le groupe de rock touareg qui fascine l'Amérique
Par Matthieu CulleronCe sont des rock stars du désert. Le groupe touareg Tinariwen fait un tabac aux États-Unis, avec une tournée de plus de 50 dates, souvent complètes. Il présente actuellement son dernier disque, Amadjar, au pays de Donald Trump et nous l'avons suivi. Road-reportage.
RÉTROSPECTIVE : avant de tourner définitivement la page 2019, la rédaction de France Inter vous propose de redécouvrir les articles qui nous ont marqués cette année. Ici, notre voyage avec un groupe pas comme les autres sur les routes de l'Amérique de Trump.
Le gigantesque "tour bus" s'est garé derrière la salle de concert. La salle du Royal, à Boston, peut accueillir 1 200 personnes et elle est quasi pleine, ce vendredi soir. Le lendemain, à New York, le concert est annoncé complet au Webster Hall et Bastien, le "tour manager" est en train de déballer le merchandising. Vu le nombre de caisses, les t-shirts et les albums de Tinariwen semblent se vendre comme des petits pains.
Devant le bus, Ibrahim, le fondateur du groupe, fume une cigarette. Placide, il n'a pas l'air de s’inquiéter de la performance du soir, même si, pour la première fois, leur percussionniste s'est vu refuser son visa pour ce périple de 50 dates.
Depuis 2003, le groupe touareg Tinariwen, originaire de Tessalit, dans la région de Kidal au nord du Mali, affiche plus de 200 concerts aux États-Unis. Parmi ces dates, des festivals prestigieux comme Coachella en 2009 ou le Holywood Bowl qui viendra conclure cette tournée en première partie de Vampire Weekend. Les plus grands ont invité Tinariwen à partager leur scène : les Rolling Stones, Robert Plant (ex-Led Zepplin), mais aussi Carlos Santana.
Retour dans le bus où Eyadou, le bassiste du groupe, fait du thé sur un petit réchaud. Une demande spéciale accordée par John, le chauffeur, qui les conduit depuis des années : "Ils peuvent faire à manger et faire du thé, pour moi aucun problème. Mais normalement c'est interdit et certains chauffeurs un peu rednecks n'autoriseraient pas ça", raconte-t-il.
"Parler avec les yeux"
Si l'engouement pour le rock touareg de Tinariwen ne cesse de grandir en Amérique, il n'en demeure pas moins que certaines tensions existent, comme l'explique Bastien, le "tour manager" :
En début de tournée, à l'annonce du concert dans la ville de Winston-Salem (Caroline du Nord), des menaces racistes sont apparues sur Facebook. Pour contrer ça, le maire nous a reçus en grande pompe, les groupes locaux ont repris nos morceaux... C'était une ambiance curieuse et un phénomène assez nouveau.
Dans la salle, à Boston, le public est très mélangé. Des jeunes, des anciens et une ambiance qui va crescendo. Sur scène, les Tinariwen ont revêtu leurs habits traditionnels. À l'exception d'Ibrahim, tous les membres de Tinariwen arborent un turban qui ne laisse entrevoir que leurs yeux. "On nous reproche parfois nos habits, car ceux qui causent des problèmes de nos jours cachent aussi leurs visages derrière des turbans. Nous, on ne porte pas ces turbans pour se cacher. C'est pour parler avec les yeux !" insiste Eyadou, évoquant le symbole fort que représente ce costume pour la culture touareg.
Le public applaudit à tout rompre et la plupart des spectateurs dansent, le sourire sur le visage. Dans un coin de la salle, on aperçoit même un homme aux cheveux blancs portant une veste kaki sur laquelle on peut lire "Veterans for Peace", association de vétérans américains.
Rock stars du désert
"Avec Tinariwen, les concerts sont souvent complets depuis des années et de façon consécutive", explique Jennifer Fox, directrice de Global Arts Live, à l'origine de la venue de Tinariwen à Boston. "Le fait de voir autant de gens pour ce genre de groupe, dans le contexte actuel, c'est un signe que les choses changent et vont s'améliorer à l'avenir. C'est aussi une preuve que beaucoup de gens ne pensent pas comme une partie des gens de ce pays et en particulier ceux qui nous gouvernent. Nous sommes, nous, persuadés que les gens sont égaux".
À la fin du concert, le public se précipite vers le stand de vente de t-shirts, de CD et de vinyles. Abdallah vient lui-même dédicacer les albums : "Depuis qu'on vient aux États-Unis, ça se passe toujours comme ça. Je vois même des gens chanter les chansons donc je pense que ce sont des gens qui sont vraiment fans de la musique de Tinariwen. Il y a quatre ou cinq ans, nous avons commencé à vraiment sentir que quelque chose se passait. Les salles se remplissaient et le public était nombreux".
À minuit, tout le monde rejoint le "tour bus" qui partira au petit matin direction New-York. Dans le petit salon, à l'arrière des couchettes, Abdallah rappelle ce que représente la musique de Tinariwen. Le combat de tout un peuple, celui de la communauté touareg, oubliée de tous et en particulier de la France, comme l'estime Abdallah. "On chante la cause touareg depuis le début du groupe. La France nous a trouvé dans notre territoire, le Sahara, et nous n'étions pas alliés aux Arabes en Algérie ou aux Bambaras au Mali. C'était un territoire bien gardé. Il y a une partie du Hoggar algérien, la partie du Niger, de la Libye et chez nous l'Azawad. Nous connaissons nos frontières entre nous. Mais en colonisant l'Afrique, la France nous a livré à des gens que ne ne connaissions pas. C'est comme ça que nous nous sommes révoltés... des massacres ont eu lieu à cause des territoires. "
La musique de Tinariwen a été créée pour réveiller la conscience touareg.
Ne pas s’éloigner trop longtemps du désert
Le dernier album du groupe, Amadjar, s'est enregistré dans la plus pure tradition des nomades Taragalte, de la Mauritanie en passant par le sud du Maroc. La formation a ensuite enregistré ses chansons sous une tente lors d'une autre session à Nouakchott. Ce sont ces titres qu'ils s’apprêtent à jouer devant le public du Lower East Side à Manhattan.
Le bus, surnommé le sous-marin par les membres du groupe, se fraye un chemin dans les rues de Manhattan. Il se gare devant le Webster Hall et ce soir là, les touaregs joueront à guichet fermé. La renommée de cette salle de plus de 1 000 places n'est plus à faire. Avec un petit sourire Eyadou, bassiste, constate le pouvoir du blues du désert sur les américains. "Les frontières des États-Unis sont très fermées, on ne peut pas le nier, mais une fois à l'intérieur les gens sont très ouverts. C'est ça que je trouve beau. Nous avons des amis ici, notamment des indiens Navaro qui vivent dans l'Arizona. Nous allons les voir dans leur campement et on fait du cheval ensemble. Le désert ici nous fait penser au nôtre mais il est quand même plus moderne", raconte-t-il.
Eyadou ne peut pas vivre trop loin de son désert, deux mois c'est un maximum. Pour Tinariwen l'appel du désert devient trop fort passée une certaine période. "Mes enfants parlent touareg, et dès que je le peux, je suis en brousse. Le bruit des grandes villes te coupe dans tes rêves, tes pensées. Dans le désert au contraire, la nature va te pousser loin", raconte Eyadou.
Dans le désert, il n'y a rien, mais il y a tout : nos ancêtres, nos enfants, notre langue, notre culture.
Notre conversation s'arrête là, le groupe doit s'habiller pour monter sur scène. Depuis les loges, on entend déjà le public réclamer les bluesmen du désert. Le concert sera une communion étonnante. Bien loin de l'image d'une Amérique xénophobe repliée sur elle-même.
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