On a regardé comment la chaîne russe RT France traite le conflit ukrainien

Publicité

On a regardé comment la chaîne russe RT France traite le conflit ukrainien

Par
RT France
RT France
© Radio France

RT a été interdite de diffusion sur le satellite en Allemagne pour des raisons plus juridiques qu’éditoriales. En représailles, Moscou a fermé le bureau local de la Deutsche Welle. Alors qu’Emmanuel Macron rencontre lundi Vladimir Poutine, les médias sont plus que jamais un enjeu dans la montée des tensions.

Sur la forme, RT France ressemble peu ou prou à toutes les chaînes internationales d'information. Un habillage dynamique, du rythme, et un flux continu d'actualités françaises et internationales variées : une manifestation des "travailleurs invisibles" organisée par la CFDT jeudi dernier, puis la colère des routiers canadiens, les derniers épisodes de la campagne présidentielle... Il y a peu de sport, et de plus en plus de couverture de l'Afrique, avec notamment, les dernières actualités en Guinée-Bissau ou au Mali. Le traitement est factuel et sans parti-pris.

Pour le chercheur à l'Irsem Maxime Audinet, docteur en études slaves, spécialiste de la Russie et auteur du livre Russia Today, un média d'influence au service de l'État russe, RT est avant tout une chaîne d'information internationale. "Ce n'est pas une chaîne centrée sur la Russie, ni même sur l'environnement stratégique de la Russie, mais une chaîne qui se présente d'abord comme un média alternatif dans l'espace médiatique international", explique-t-il.

Publicité

En revanche, quand l'actualité traitée touche aux intérêts russes, la neutralité peut très souvent faire défaut, note le chercheur : "Ce qu'on observe, c'est que dans le cadre d'événements qui concernent la Russie sur le plan intérieur, la couverture est extrêmement partiale, voire manipulatoire."

Des avis de spécialistes convergents  

L'émission phare de la chaîne, "Interdit d'interdire", est présentée par le journaliste Frédéric Taddeï, habitué des débats contradictoires après avoir notamment animé l'émission "Ce soir ou jamais" il y a quelques années sur France 3. En temps normal, cette émission est un exemple utilisé par RT pour prouver son respect de la pluralité des opinions. Une attention toute particulière est donnée donc à l'expression de la diversité des points de vue.

Mais le 17 janvier dernier, pendant une heure, il n'y a pas eu vraiment de débat entre le géopolitologue Frédéric Encel et le professeur de civilisation russe et soviétique à l'Université de Nanterre Jean-Robert Raviot. Les deux hommes ont notamment répété à plusieurs reprises, après avoir été questionnés par le journaliste, que jamais la Russie n'attaquera l'Ukraine.  

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

D'autre spécialistes, présents à l'antenne à d'autres moments, abondent par ailleurs dans ce sens, comme Xavier Moreau, le directeur de Stratpol, invité le 1er février, ou Karine Bechet-Golovko, professeur à l'Université d'État de Moscou. 

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Pour Maxime Audinet, cette unanimité des opinions exprimées à l'antenne s'explique par le fait que très peu d'invités acceptent de venir régulièrement parler sur les plateaux de RT. Selon lui, la chaîne a le taux de refus le plus important parmi les nombreux médias d'informations en France.

Sollicité, Russia Today conteste ce manque de pluralité précisant avoir rendu compte depuis le début du conflit, "de toutes les déclarations officielles allant dans le sens d’une possible intervention et les démentis côté russe." La chaîne concède en revanche qu'elle éprouve des difficultés à faire s'exprimer toutes les opinions sur son antenne du fait que "le choix des personnalités amenées à s’exprimer est fait le plus souvent pour leur expertise en politique internationale. Ils peuvent aussi le faire en tant que porte-parole d’un parti, d’un mouvement ou d’une sensibilité politique et ils se positionnent sur la question. Le Gouvernement, LREM et certains experts refusent de venir sur notre plateau pour en parler ou en débattre. Certains, quand nous les invitons, s’enorgueillissent publiquement de leur refus.​"

Sur le terrain : un parti-pris évident  

Fin décembre, RT diffuse un reportage d'un peu plus de 12 minutes, "Donbass : les voix des oubliés" sur le conflit à l'Est de l'Ukraine. Des Français qui vivent en Ukraine y expriment leur opinion, comme François Mauld D’Aymée, présenté comme soliste et vocaliste à la philharmonie de Donetsk. 

Son passé de combattant en Irak aux côtés des Peshmergas est omis, pour un homme qui se présente dans la revue "Méthode", à laquelle il collabore, comme un "franc gallo-romain extrait d’une lignée champenoise, élevé à l’école républicaine sociale mais nourri à plusieurs sources, célinien, bloyien et rabelaisien (...) sympathisant de l’eurasisme, partisan des alliances continentales." 

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

La plupart des autres interlocuteurs sont des habitants du Donbass, tous pro-russes, comme cette jeune femme qui affirme que, "honnêtement, [elle] aimerai[t] que la Russie [les] protège, mais elle n'est pas là". Dans cette même séquence, sur une musique douce qui rompt le rythme du récit, le commentaire appuie sur la réponse bienveillante apportée par le Kremlin : "Depuis avril 2019, Vladimir Poutine a signé un décret pour faciliter l'obtention de la nationalité russe pour les habitants des deux Républiques autoproclamées. Un soulagement pour beaucoup."

Ce traitement éditorial, Maxime Audinet l'a analysé en profondeur : "La plupart du temps, pour des reportages ou pour les journaux télévisés, RT interroge des personnes qui se sont parfois présentées sous des qualificatifs assez neutres, expert en géopolitique par exemple, et qui, en réalité, ont des positions beaucoup plus militantes." 

Interrogé sur ce point, Russia Today via la voix de son responsable presse, assume l'angle du reportage :  "Le thème de ce court documentaire est précisément de donner la parole aux habitants les plus touchés par le conflit dans cette région et qui ont refusé de suivre Kiev. Ils sont, c’est indéniable, très nombreux dans cette région et peu entendus. C’est aussi cela que nous souhaitons apporter, des points de vue que l’on n’entend pas ou peu ailleurs." Dans la deuxième partie de la réponse, les choix éditoriaux des médias de service public sont pointés du doigt "ne s'attachant qu'à un point de vue particulier."

RT France n'est pas RT Deutsch

RT est une constellation de chaînes à travers le monde. La version hispanique est, par exemple, plus à gauche que les autres entités, avec un discours anti-impérialiste plus proche du chavisme que du poutinisme. En ce qui concerne les canaux européens, RT France est plus modéré que RT UK ou RT Deutsch, pour des raisons liées au contexte national et à l'encadrement des pouvoirs publics.

Les chaînes européennes du réseau se rejoignent sur un creuset idéologique commun qui va être celui de la défense du souverainisme et sur une approche très eurosceptique de ce qui se passe en Europe.

"En revanche", précise Maxime Audinet, "RT Deutsch me paraît être sur une ligne plus affirmée, plus offensive. Je pense par exemple au traitement de l'islam, des migrants ou des sujets identitaires"

Il est important de rappeler que RT Deutsch n'a pas été interdite de diffusion sur le satellite pour des raisons éditoriales mais pour des raisons juridiques. En effet, la chaîne russe a en Allemagne une organisation bicéphale, à Moscou et à Berlin, contrairement à RT France, dont l'entité juridique est en France. RT Deutsch émettait jusque là de Serbie, en s'appuyant sur un accord de coopération audiovisuel au sein du Conseil de l'Europe, qui permettait aux éditeurs d'échapper aux règles audiovisuelles locales. En revanche, en France, RT diffuse sous le contrôle de l'Arcom, issu de la fusion du CSA et d'Hadopi.