On a testé le "wwoofing", deux semaines en immersion dans une micro-ferme biologique
Par Juliette Geay
Maraîchage, apiculture, élevage… Environ 2.000 fermes biologiques en France proposent à des volontaires de réaliser des séjours chez eux, en échange de quelques heures de travail. Une pratique qui a gagné en popularité depuis la pandémie de Covid. Notre journaliste a tenté l'expérience et raconte.
Chaque année, environ 10.000 personnes, essentiellement des jeunes, passent quelques semaines dans des fermes biologiques en France, dans l'objectif d'apprendre à cultiver la terre, d'acquérir des connaissances en permaculture ou tout simplement avec l'idée de vivre autre chose. Après la pandémie de Covid, le nombre de volontaires sur ces séjours a augmenté d'un quart, selon l'association Wwoof France qui les coordonnent depuis 2007. Pour cette expérience, j'ai passé deux semaines dans une micro-ferme du Gard, aux côtés d'un couple de paysans maraîchers et apiculteurs. Au programme : semis, plantations, récolte…
Il est 11h du matin ce lundi 29 août. Le bus vient de me déposer dans le centre-ville d'Uzès, cité d'histoire à une trentaine de kilomètres au nord de Nîmes. C'est ici que j'ai rendez-vous avec mes hôtes. Rémi et Sophie, deux trentenaires originaires de la région, se sont installés comme paysans-maraîchers il y a un an et demi, à la ferme des Clos d'Uzès. Toute l'année, ils produisent des légumes sur leur terrain de deux hectares, ainsi que de l'huile d'olive et du miel de châtaignier en haute saison. Ils n'utilisent aucun traitement sur leur exploitation et sont en cours d'obtention du label "agriculture biologique".
Le principe du wwoofing (pour World-Wide Opportunities on Organic Farms) est le suivant : partager le mode de vie d'une ferme et apprendre de ses hôtes, en les aidant quatre à cinq heures par jour sur leurs activités. Le voyageur ou wwoofeur est logé et nourri à la ferme et peut profiter de son temps libre pour découvrir les environs. Fondé en Angleterre en 1971, ce mouvement d'éducation populaire à l'agriculture biologique s'est développé partout dans le monde. Il est arrivé en France en 2007, où l'association qui l'encadre, Wwoof France compte aujourd'hui environ 20.000 adhérents (18.000 wwoofeurs et 2.000 fermes).
Découvrir un autre mode de vie
Dès mon arrivée, Rémi me fait visiter les lieux. À l'entrée de la ferme, il y a un mazet (maisonnette en pierre typique de la région, de 40 mètres carrés), où le couple vit toute l'année. Juste devant, deux autres wwoofeuses, des anglo-saxonnes qui terminent leur séjour, cuisinent des pâtes aux légumes du jardin dans la cuisine extérieure. Tous les produits consommés ici sont issus de l'agriculture biologique. Un peu plus loin, derrière les oliviers, un chalet et une caravane accueillent les hôtes de passage. Quant aux sanitaires, des toilettes sèches sont installées au fond du jardin et la douche se situe dans le mazet.

Revenir aux sources de notre alimentation
La journée commence à 7h, avant le lever du soleil. Après un copieux petit déjeuner, on entame la récolte des légumes. Je suis arrivée en pleine saison des haricots verts. Équipés d'un panier en osier et d'une paire de ciseaux, nous arpentons les rangs et coupons, un par un, les plus gros haricots. "Il faut prendre ceux qui font la taille d'un stylo", montre Rémi. On se penche, on s'accroupit, on fouille dans les feuilles… Un rang de haricots, c'est environ une heure de travail, surtout quand on débute. Étonnamment, je ne ressens pas de douleur physique. En revanche, durant les premiers jours, mon cerveau se vide, je ne pense à rien d'autre qu'à ces tiges vertes. C'est très agréable.
Nous séparons, dans un panier à part, les haricots troués par les chenilles. Tous les légumes abîmés seront cuisinés et consommés à la ferme. Dans quelques heures, nous vendrons les autres à l'épicerie bio du centre-ville d'Uzès, puis ce soir lors de la vente directe à la ferme. C'est l'un des aspects les plus intéressants du wwoofing : être à l'origine et au bout de la chaîne de production d'un légume. Récolter, peser, calculer le prix d'une cagette. Mesurer tous les aléas qui ont permis ou non à cette tomate de finir dans notre assiette.

Cette année, la production estivale a été largement entravée par la sécheresse. La récolte ? "Catastrophique", ose Sophie lorsque des amis ou des clients lui demandent. Mais le couple ne se décourage pas. Bien conscients des aléas du métier, ils sont perpétuellement en recherche de solutions pour faire fonctionner leur exploitation. Entre les rangs de légumes, ils viennent de planter des arbres fruitiers, pour faire de l'ombre aux cultures.
Réapprendre à apprendre
Chaque jour, les activités changent. Le lendemain, nous désherbons entre les betteraves, puis nous nous attelons aux plantations de fenouil et de persil. Il s'agit de les repiquer, c'est-à-dire de les faire passer de petits pots à la terre du champ. Il faut faire des lignes, et les disposer en quinconce. Ce n'est pas évident. Rapidement je me perds et Rémi repasse pour décaler chacun des plants. Les premiers jours, j'enchaine les questions d'un enfant de huit ans : "C'est quoi ça ?", "À quoi ça sert ?", "Pourquoi fait-on ça ?" L'étendue de la connaissance de mes hôtes me semble vertigineuse. Mais Sophie et Rémi répondent, toujours avec pédagogie.
Si le fait de multiplier ces explications leur prend du temps, le couple ne s'en lasse pas. "Les questions et la façon d'aborder les choses sont différentes à chaque fois", explique Sophie. Par ailleurs, "le coup de main apporté par les wwoofeurs n'est pas négligeable", ajoute Rémi, "même si on ne base pas notre activité sur cette main d'œuvre". La relation avec un wwoofeur n'a en effet rien à voir avec celle d'un ouvrier agricole. Le wwoofeur n'est jamais seul dans un champ. Il est entendu au départ qu'il ne sait pas faire grand-chose et il n'est pas tenu par le rendement.

Depuis qu'ils ont ouvert leur ferme, en avril 2021, Sophie et Rémi ont vu passer une vingtaine de wwoofeurs. De très nombreux néophytes, et quelques-uns plus expérimentés, venus acquérir un maximum de connaissances avant de se lancer eux-mêmes dans le maraîchage biologique.
Prendre conscience de sa consommation énergétique
Au-delà de l'activité maraîchère, la ferme des Clos d'Uzès présente un autre avantage de taille : elle est autonome en énergie. En face du mazet, une grosse cuve rouge stocke l'eau récupérée dans le sol, grâce à un forage. Tout autour, des panneaux photovoltaïques captent l'énergie solaire, ce qui permet d'alimenter l'ensemble de la propriété en électricité. Ici, pas d'autre facture que celle de la box internet. De temps en temps, Rémi achète une bonbonne de gaz pour la cuisine.
C'est lui qui a créé cette installation, lorsqu'il a rénové le mazet, durant sa vingtaine. Ce fils d'électricien, largement autodidacte, l'a d'abord fait pour des raisons économiques, "puis ma conscience écologique s'est aiguisée", raconte-t-il. Il recherche aujourd'hui une "cohérence environnementale, être le plus juste possible entre ce que je peux consommer sur la planète et mes besoins".

Lors du séjour, on apprend ainsi à limiter sa consommation d'énergie au juste nécessaire, sans pour autant se priver. La caravane est équipée d'un plafonnier, d'une lampe de chevet, et d'une multiprise. Le matin, on pense simplement à éteindre cette dernière, pour ne pas vider inutilement la batterie située un peu plus loin. Même chose pour la douche : l'eau est pompée à quelques mètres et chauffée grâce à l'ensoleillement, on tâche donc de faire attention à en laisser pour les autres, surtout les jours de pluie. En rendant l'énergie concrète, tangible, on prend conscience de la quantité que l'on consomme au quotidien et de la facilité avec laquelle on peut réduire les dépenses inutiles. Chaque geste pour l'environnement devient nécessaire et n'est plus une goutte d'eau dans l'océan.
S'agit-il d'une perte de confort ? Pour certains voyageurs, cela pourrait y ressembler. Mais les wwoofeurs sont avertis dès l'annonce, lorsqu'ils choisissent leur ferme sur le site de l'association. Pour Rémi et Sophie, ça n'en est pas une, loin de là : "On a de l'électricité, de la lumière, de l'eau chaude. Les seules choses dont j'ai dû me passer, c'est un fer à repasser et un sèche-cheveux, ça va", explique Sophie, un sourire dans la voix. Pas question pour autant de se passer de vie sociale ni de loisirs. Ils sont très engagés dans la vie associative locale et organisent régulièrement des concerts et soirées dans leur ferme. Rémi est batteur et possède un studio de musique sur le domaine. Durant l'été, il ne se passe pas une journée sans qu'un collègue ou un ami passe prendre le café.
Un échange humain
Le soir, quand chacun est rentré de ses activités, nous nous retrouvons autour d'un bon repas. Le menu ici est végétarien et on cuisine ensemble. Ces diners sont souvent l'occasion de longues conservations entre hôtes et wwoofeurs. "Ça nous permet de rencontrer des gens du monde entier, et ça nous fait sortir de nos champs", explique Rémi, qui a, comme Sophie, voyagé avant de revenir s'installer dans la région.
"Il y a beaucoup d'échanges qui nous apportent sur notre travail, des conseils sur les postures par exemple. Et au-delà, plein d'échanges plus philosophiques sur comment on voit la vie". Sophie renchérit : "On a aussi la volonté de faire découvrir notre mode de vie et notre façon de produire." Après des études d'agronomie et une première expérience dans les assurances agricoles, elle a choisi de se rapprocher de la terre et de la préservation de la planète, dont elle était convaincue de la nécessité depuis toujours : "j'avais envie de faire quelque chose de concret, et c'est cette manière que j'ai trouvée pour être la plus utile possible", raconte-t-elle.
À l'heure d'aller dormir, je repasse par les toilettes sèches, avant de rejoindre, à la lumière de mon téléphone portable, ma caravane. Je ferme ma moustiquaire et espère ne pas avoir à me relever dans la nuit. Parfois, ça arrive tout de même. Mais à trois heures du matin, le spectacle du ciel parsemé de milliers d'étoiles n'a pas d'équivalent.