Ouvert en 1909, le plus vieux cinéma de Moscou à nouveau en haut de l’affiche
Par Claude BruillotEscaliers de marbre, fontaine lumineuse, verrière géante… Construit avant la révolution bolchevique, le plus vieux cinéma de Moscou, "Le Khudojestviennyi", rénové après bien des aléas, retrouve une seconde jeunesse. Et son gérant ne semble pas craindre la censure
Alexander Mamut, l’homme d’affaire milliardaire à la tête du Khudojestviennyi, a su faire du temps son allié. Entre les appétits de la Sberbank, propriétaire du palace, et les projets de rénovation avortés, il a patienté sept ans avant de voir recréer l’architecture du début des années 1900, quand le tout Moscou se pressait pour applaudir les chefs d’œuvre du cinéma muet.
À côté des vieux ornements en bois, entre ses minibars et son coin bibliothèque, une grande salle de 500 places refaite à neuf, propose des films à partir de 2 euros. À l’étage supérieur, presque dans une antichambre, 21 places grand luxe avec table individuelle, attendent elles, à raison de 50 euros l’unité, les spectateurs fortunés… Car au-delà de ce renouveau architectural et dans cette atmosphère d’une autre époque, il y a aussi un vrai projet social et culturel si l’on en croit Daria Paramonova, directrice du bureau d’architectes qui a mené à bien les travaux de rénovation : "Malheureusement à Moscou, peu de choses ont survécu à l’époque soviétique. Un espace comme celui-là manquait. Il y a plus d’un siècle, les concepteurs avaient voulu que l’endroit traduise le lieu de fête et surtout de rencontre que doit être le cinéma." Mais Daria Paramonova le reconnait, "à cause de l’histoire tourmentée que nous avons connue, on ne saura jamais comment ce vieux cinéma aurait pu évoluer, l’endroit est tellement un témoin historique, que son intérieur a presque été entièrement refait. Mais en se rapportant aux plans de l’époque, sans beaucoup de documents photos, nous avons essayé de recréer cette ambiance."
Une programmation qui veut se démarquer
En guise de fête, entre deux séances, il est possible par exemple de déguster les spécialités russes du "Niki", l’un des restaurants à l’intérieur, qui a repris le diminutif dont la tsarine d’origine allemande, Alexandra, affublait Nicolas II… Dans la montée des marches, entre les photos en noir et blanc des stars, les Moscovites prennent la pose, alors que l’on devine derrière une porte, le générique d’un film.
Mais l’objectif du Koudojestviennyi, inauguré depuis un mois, sera aussi de se démarquer des grandes salles moscovites avec une programmation partagée entre les films grand public et les productions russes. Avec déjà un point d’interrogation quand les autorités fédérales bloquent par exemple la diffusion d’un film satirique, comme "La mort de Staline". Alexander Mamut, le gérant du Koudojestviennyi, lui, avait maintenu à l’affiche la présentation du film dans son autre complexe cinématographique à Moscou, au risque de s’attirer les foudres de la censure… En se disant peut-être déjà à l’époque, en 2018, qu’à la prochaine occasion, il saurait profiter de l’aura du vieux cinéma, pour reprendre son bras de fer avec les autorités.