Papillons, coléoptères... des millions d'insectes australiens en péril à cause des incendies
Par Louis-Valentin LopezAu-delà des cadavres calcinés de koalas et les kangourous, dont les images atroces font le tour des médias, des millions d'espèces d'insectes sont aussi menacées par les feux qui dévastent l'Australie. Un directeur de recherche au CNRS alerte.
Les images ont fait le tour du monde. Un koala sauvé in extremis des flammes par une automobiliste, un autre qui, assoiffé, vient s’abreuver à la gourde d’un cycliste… Mais derrière ces images déchirantes, une population plus invisible subit de plein fouet les conséquences des incendies qui ravagent l'Australie : les insectes. "Il existe plus d’une centaine de milliers d’espèces d’insectes en Australie, et plusieurs dizaines de milliers d’espèces qui sont spécifiques au pays", indique Philippe Grandcolas, entomologiste et directeur de recherche au CNRS. "Il y a aussi plusieurs milliers d’espèces que l'on ne trouve qu'en Nouvelle-Galles du Sud, État très touché par les feux." Des d'insectes qui prolifèrent grâce à la diversité des climats en Australie, où l'on trouve des milieux tropicaux, subtropicaux, secs et presque tempérés.
Des chiffres sous-estimés
Dans une étude régulièrement mise à jour, l’Université de Sydney estime que, depuis septembre 2019, plus de 800 millions de mammifères, d'oiseaux et de reptiles ont été victimes des incendies dans le seul État de Nouvelle-Galles du Sud. Mais si l'on prend en considération les populations d'insectes, ce nombre paraît bien sous-estimé : "Il faudrait multiplier ces chiffres par quelques centaines voire quelques milliers, pour prendre en compte l’ensemble des organismes vivants incluant les insectes", estime Philippe Grandcolas, qui dirige aussi l’Institut de Systématique, Évolution et Biodiversité, rattaché au Museum de Paris et à Sorbonne-Université.
Quelles sont les espèces menacées ? "On retrouve tous les grands groupes qu’on connaît partout dans le monde : des papillons, des coléoptères, des mouches, des sauterelles, des grillons…", égrène le chercheur. "Et dans chacun de ces groupes, il y a des centaines ou des milliers d’espèces, dont beaucoup sont assez spécialisées."
Un certain nombre de lépidoptères ou d’orthoptères, notamment, sont spécifiques à l’est australien : "L’Australie est l’un des endroits dans le monde où l’endémisme, c’est-à-dire l’étroitesse des aires de répartition, est la plus forte, car le continent a été relativement isolé au cours des temps géologiques. Les insectes exclusifs aux milieux forestiers secs de Nouvelle-Galles du Sud vont avoir des risques de déclin de population très sévère."
Les insectes volants aussi touchés
Une partie de cette micro-biodiversité périt directement dans les flammes. On serait alors tenté de penser que les espèces volantes sont épargnées. Erreur, objecte Philippe Grandcolas : "Chez les papillons, on a beaucoup d’espèces qui dépendent uniquement d’une ou de quelques plantes hautes. Si dans un incendie ces plantes hautes disparaissent, même les quelques insectes qui peuvent voler et qui seraient marginalement survivants auront des difficultés à continuer à se nourrir ou à se reproduire." Parmi ces papilionidés australiens, on identifie de grands papillons colorés, comme par exemple le papilionidé Ulysse :
Mais pour Philippe Grandcolas, il serait dommageable de ne se focaliser que sur les "beaux" insectes : "On doit aujourd’hui avoir une vision un peu plus rationnelle sur la biodiversité", juge-t-il. "Quand on considère les insectes, il ne faut pas se focaliser non plus sur le grand papillon, le gros coléoptère ou sur le grillon géant, sinon on retombe dans le même souci : il n’y a pas une espèce à privilégier par rapport à une autre."
Car c'est ce type de raisonnement à l'affect qui mène à négliger certaines espèces : "Quand on voit des koalas qui ont été brûlés, leurs cadavres, c’est affreux, c’est horrible parce qu’on ressent ça dans notre esprit et qu’on se sent proche d’eux. Mais on a intérêt à considérer la biodiversité autrement qu’à travers l’empathie qu’on a pour quelques espèces", ajoute le chercheur. Un délaissement qui s'explique aussi par le fait que contrairement aux koalas ou aux kangourous, il est plus complexe d'identifier avec précision les populations d'insectes : "Ce sont des organismes discrets, de petite taille, qui sont moins bien connus par les scientifiques."
Des espèces épargnées, mais pour combien de temps ?
Certains insectes bénéficient d'un répit : les insectes dits fouisseurs, qui se réfugient sous le sol, comme les termites. "Quand on a des termitières géantes qui ont des parties souterraines très profondes, évidemment des populations de termite vont survivre." Mais la question de leur survie se pose sur un plus long terme, lorsque les feux vont s'arrêter d'eux-mêmes à l'arrivée des pluies la prochaine saison.
Philippe Grandcolas se pose la question de la récupération des écosystèmes, dans les semaines et les mois qui vont suivre, pour les animaux qui ont survécu aux flammes : "Vont-ils trouver à manger ? Les termites en question se nourrissent de bois sec ou de feuilles mortes. Y aura-t-il du bois sec ou des feuilles mortes en quantité suffisante pour que les termites qui auraient survécu aux incendies puissent continuer à se nourrir et à pérenniser leur colonie pour l’année suivante ?"
Pour le membre du CNRS, il faut aussi se placer dans le contexte de changement climatique, avec un avenir "très sombre" : "C’est cette perspective qu’il faut prendre en compte pour les insectes et tous les organismes, et pas seulement pour les grands vertébrés qui sont les plus visibles."