Paris : des "caméras intelligentes" pour estimer le nombre de voyageurs sans masque
Par Xavier Demagny
Depuis le 6 mai, à Paris, des caméras de surveillance de la station Châtelet-Les Halles sont branchées à un logiciel d'intelligence artificielle qui permet d'estimer le pourcentage d'usagers portant un masque.
Souriez, vous êtes... masqué.e.s ?! À Paris, depuis le 6 mai, la RATP et Île-de-France Mobilités testent un dispositif d'intelligence artificielle pour observer le respect du port du masque à la station de métro et RER Châtelet-Les Halles. Obligatoire dans les transports à partir du 11 mai, le masque semble ainsi être un élément déterminant pour la réussite du déconfinement.
Avec cet essai, la question n'est pas de contrôler et encore moins de verbaliser, seulement de "mesurer", assurent les protagonistes du projet. Et si à côté du plan de transport pour assurer la sécurité des voyageurs et des personnels pendant le déconfinement, cette expérimentation n'est pas la première des priorités, la RATP compte bien sur ce test pour en savoir plus sur le port du masque dans une gare qui brasse chaque jour un nombre massif de voyageurs.
Pour cela, l'entreprise organisatrice des transports dans la capitale fait appel à la technologie d' une start-up française, Datakalab, pour une expérimentation de trois mois dans cette station, l'une des plus fréquentées d'Europe. La jeune pousse, qui s'est imposée dans le secteur du neuromarketing, a été co-fondée il y a trois ans par le communiquant Franck Tapiro (ex-conseiller politique de Nicolas Sarkozy) et les frères Fischer, Xavier et Lucas (tout droit sortis de CentraleSupélec Paris).
12 caméras "équipées"
Alors, comment ça marche ? Au total, 12 caméras de la station ont été équipées d'un "détecteur de masques",petit ordinateur accolé à la caméra. Dans un premier temps, seulement six caméras sont activées mais toutes le seront in fine, au terme de l'expérimentation. "Notre logiciel compte le nombre de visages qui ont un masque ou non", détaille Xavier Fischer, patron de Datakalab.
L'algorithme présent sur l'ordinateur détecte où sont les gens, est capable d'établir la distance entre eux, peut trouver les visages et, si le nez ou la bouche sont masqués, dire s'il y a ou non port d'un masque. Xavier Fischer évoque plus de 99 % de précision (lors des tests, donc avec bien moins de visages qu'à partir du 11 mai dans les transports).
Impossible en revanche de connaître l'emplacement des caméras concernées "pour des raisons de sécurité" ; elles semblent néanmoins avoir été choisies en fonction des lieux de grand passage dans la station et permettent "une bonne visibilité de l'espace".
Mesurer, sensibiliser mais surtout pas verbaliser
Pour informer les utilisateurs de ce test, une campagne d'affichage a été mise en place dans toute la gare. Cette expérience "n’a aucune finalité de verbalisation", tient à préciser la régie des transports parisiens. "Le but c'est de fournir des tendances sur le port du masque", rappelle Xavier Fischer de Datakalab. "De voir l'évolution du port du masque sur la durée, voir comment ces données vont évoluer, avec l'été qui arrive. En aucun cas d'analyser tout le monde, tout le temps", ajoute-t-il.
Et éventuellement s'en servir ? Ce n'est pas exclu, répond la RATP, qui bénéficiera d'un tableau de bord quotidien de l'évolution du port du masque dans les espaces observés à Châtelet : "Cet outil d’aide à la décision pourrait permettre de mener des actions de sensibilisation auprès des usagers pour les inciter au respect des règles sanitaires et ainsi assurer la sécurité de tous dans les transports dans le cadre du déconfinement".
"Complètement anonyme"
"Personne ne verra jamais les images", selon Datakalab. Elles sont traitées localement, en un dixième de seconde, par l'ordinateur attaché à la caméra. Celles-ci ne sont jamais stockées, collectées ou diffusées et seuls des pourcentages agrégés au bout d'un certain nombre de personnes et toutes les 15 minutes sont enregistrés, assure Xavier Fischer. "Si vous passez une fois devant une caméra et que vous revenez dix secondes après, vous serez comptabilisé une deuxième fois, car techniquement on ne veut pas savoir qui vous êtes", poursuit-il.
Le dispositif respecte "scrupuleusement" le règlement général sur la protection des données (RGPD), assure la RATP : "Les seules statistiques agrégées sont produites conformément à la finalité de comptage du dispositif." Pour information, la Cnil a été destinataire des éléments techniques et juridiques.
Contactée par France Inter, la Commission nationale informatique et libertés indique ne pas s'être prononcée, pour l'instant, sur cette expérimentation. Toutefois, elle a déjà donné un premier avis sur le dispositif identique installé à Cannes, par la même entreprise. Si l'instruction du dossier est encore "en cours" et "au regard des premières informations dont la commission dispose", le dispositif "présente des garanties en matière de protection de la vie privée des personnes", dit la Cnil au site spécialisé Nextimpact.
"Combien de temps faudra-t-il pour que l'on soit verbalisé ?"
Si la RATP insiste sur la durée de l'expérimentation (trois mois) au-delà de laquelle un bilan sera fait, Xavier Fischer juge que le dispositif pourrait être maintenu "si c'est utile et qu'on en a besoin sociétalement" mais certainement pas s'il "n'est plus utile".
Pourtant, certains acteurs des libertés individuelles et du numérique alertent sur les dangers que représentent ce genre de dispositifs, y compris dans le simple cadre d'un test. "Combien de temps faudra-t-il pour que l'on soit verbalisé grâce aux caméras ?", interroge le compte Twitter Technopolice.
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"L'usage de technologie pour régler la question du port de masque est du pur 'solutionnisme technologique', l'utilisation d'un outil pour régler un problème essentiellement politique à savoir la distribution massive de masques", dénonce la Quadrature du net à France Inter. "On réduit toujours plus la présence humaine là où la confiance et l'adhésion de la société est pourtant essentielle. La réponse à cette crise ne doit pas être 'plus de surveillance' mais 'plus de moyens humains et financiers pour protéger la population'."
Si ce dispositif "paraît tout à fait bienveillant", il "profite aussi de la peur", juge Maryse Artiguelong, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, responsable du pôle Liberté et TIC, et invitée vendredi de franceinfo. "Avant c'était la peur du terrorisme, maintenant, c'est la peur pour sa santé et celles de ses concitoyens."
"Ce dispositif ne va servir à rien. S'il faut faire de la pédagogie, faisons-là tout de suite."
"C'est aussi une façon d'habituer les gens à être surveillés, une atteinte à la vie privée, à la liberté de circuler sans être surveillé. C'est aussi une atteinte à la liberté d'expression parce que, si vous savez que des caméras ou des drones vont surveiller une manifestation, si vous savez que vous pouvez être reconnu, que ça peut vous nuire dans votre travail, vous allez vous empêcher d'aller à cette manifestation. Donc vous ne pourrez pas vous exprimer librement. C'est vraiment la fin de l'anonymat. On ne pourra plus sortir de chez soi sans être surveillé par une caméra, un drone", poursuit-elle.