Paroles d'enseignants en grève : "la distanciation est impossible", "le ministre nous méprise"

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Paroles d'enseignants en grève : "la distanciation est impossible", "le ministre nous méprise"

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Une intersyndicale a appelé à la grève ce mardi, pour le renforcement du protocole sanitaire notamment dans les collèges.
Une intersyndicale a appelé à la grève ce mardi, pour le renforcement du protocole sanitaire notamment dans les collèges.
© Maxppp - Pierre HECKLER

Une intersyndicale a appelé à ne pas faire cours ce mardi, en exigeant un renforcement du protocole sanitaire dans les établissements. Professeurs d'histoire ou de français, au collège ou au lycée : ils nous expliquent les raisons de la colère.

Une grève sanitaire dans les établissements scolaires. Malgré un renforcement du protocole dans les lycées, pour endiguer la deuxième vague de l'épidémie de Covid-19, des enseignants cessent le travail ce mardi, pour réclamer une limitation du brassage des élèves à l'école et au collège. Une intersyndicale, composée de six organisations, a appelé à ne pas faire cours : "La situation actuelle nécessite la présence massive et urgente de personnels dans les écoles, collèges, lycées", alertent les syndicats. France Inter a recueilli la parole d'enseignants, qui expliquent pourquoi ils font grève.

Le taux de participation au mouvement de grève pour les académies a atteint 8,38%, selon le ministère de l'Éducation nationale (dans le détail, 8,78% des enseignants du premier degré et 10,36% des enseignants du second degré). Des chiffres bien différents pour le Snes-FSU, pour qui 45 % des personnels en collège étaient en grève sanitaire ce mardi.

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Claire-Marie, 40 ans, professeure de français dans un collège d’Éducation prioritaire de la banlieue de Rouen

Pourquoi elle fait grève : "Je fais grève pour obtenir de réelles garanties sanitaires pour mes collègues et mes élèves. Actuellement, trop de problèmes se posent : pas de distance physique en classe, difficile aération des classes, attroupements aux entrées et sorties. La gestion des flux et des contraintes par les surveillants est épuisante.

Et tous ces efforts sont ruinés par le passage à la cantine, où les élèves mangent entassés sans masques.

Dans mon établissement, c’est moins compliqué parce qu’il est petit et a peu d’élèves, mais les surveillants et les agents d’entretien sont déjà épuisés. Les profs constatent une vraie dégradation du climat scolaire. Il n’y a plus de bonne alternative parce que le ministre a refusé de préparer et de penser des aménagements en amont. Mais il faut impérativement alléger les effectifs, faute de quoi nous craignons que les établissements ferment complètement."

Stéphane, professeur de SES dans le Nord

Pourquoi il fait grève : "Je fais grève pour que le protocole soit vraiment renforcé et que ce ne soit pas qu’une annonce ministérielle. Blanquer a mis du temps avant de reconnaître la nécessité de passer en demi groupes au lycée. Mais il a 'oublié' les collèges qui connaissent les mêmes conditions de travail.

Nous demandons des demi groupes au collège dès maintenant. Et concernant l’enseignement à distance et ces demi groupes, nous attendons un cadrage clair de la part du ministère.

Aujourd’hui, on nous demande de créer le protocole de l’enseignement à distance mais refusons aussi de cumuler la charge de travail du présentiel et du distanciel. Et quid de la prime d’équipement informatique ? Elle serait prévue, elle serait 'sur la table', mais où est elle ? Elle arrive un peu tard face à cette deuxième vague. Nous demandons aussi la fin de la journée de carence, qui est totalement injuste et encore plus en cette période  de crise sanitaire. Enfin, nous attendons des moyens humains supplémentaires pour appliquer le protocole. Nous avons moins d’agents d’entretien que l’an passée. Est-ce normal ? Que fait le département ? Que fait la région ? Est-ce comme cela que l’on 'gère' une crise sanitaire ? Rien n’a été anticipé."

Julie, 38 ans, enseignante remplaçante dans les Deux-Sèvres, de la maternelle jusqu’au CM2 et au collège en SEGPA (syndiquée au SNUipp-FSU)

Pourquoi elle fait grève : "On manque cruellement de moyens pour faire face à la crise. Il faut qu’on ait de nouveaux enseignants, qui nous permettent de dédoubler des classes. On nous parle de télétravail, mais on n’a pas les moyens de le mettre en place correctement, aucun matériel informatique. On nous parle de distanciation sociale, de mettre un mètre de distance entre les enfants...

Les personnes qui nous imposent ce protocole n’ont pas mis les pieds dans une classe depuis des années. Le mépris du ministre m'est aujourd’hui insupportable.

À noter également : il n'existe aucune médecine du travail dans l'éducation nationale, et cette réalité est aussi exacerbée par la crise sanitaire. À la fin des vacances on a eu des tergiversations de Jean-Michel Blanquer, plein de revirements de situations, c’était crevant. On a vraiment l’impression qu’ils sont hors sol. Il nous faudrait donc aussi du personnel en plus. On a pas mal d’écoles où on pourrait dédoubler les classes si on avait plus d’enseignants et dans ce sens, faire appel aux listes complémentaires des concours est une bonne idée. Les jeunes qui passent le concours ont envie d’enseigner, ils sont motivés."

Suzanne, 26 ans, professeure d'histoire-géographie dans un collège de l'Allier, en zone rurale

Pourquoi elle fait grève : "Je fais grève pour plusieurs raisons : le protocole sanitaire est insuffisant et dangereux, alors que la situation sanitaire est alarmante et se dégrade. Nous sommes confinés et devons éviter les regroupements, mais cela ne pose pas de problème de rassembler une trentaine d'élèves dans une salle de classe ou un réfectoire.

Les agents d'entretien, déjà en sous effectif, croulent sous le travail et sont épuisés. Étant en zone rurale, nous sommes encore relativement épargnés, mais nous craignons pour le futur.

Plus généralement, je suis aussi en grève car le gouvernement affiche un mépris total pour l'éducation nationale : effectifs de plus en plus chargés, revalorisation salariale fantôme, recrutement en baisse... L'hommage bâclé à notre collègue assassiné, Samuel Paty, est un excellent exemple. Jean-Michel Blanquer prévoit une matinée entière avec temps de concertation entre les équipes... puis l'annule en ne prévoyant qu'une minute de silence et la lecture de la lettre tronquée de Jaurès. C'est un insulte intolérable à notre collègue et j'ai honte, en tant que professeur d'histoire-géographie, des décisions du ministère."

Marc, 29 ans, professeur d'histoire-géographie au collège dans l'Académie de Versailles

Pourquoi il fait grève : "Je fais grève aujourd'hui parce que le protocole sanitaire est ponctué de mentions 'quand c'est possible'. Or concrètement ce n'est jamais possible. Les élèves se retrouvent rapidement en groupes de plusieurs dizaines voire plus. Les personnels de vie scolaire, souvent une poignée de 6 ou 7 AED (Assistants d'éducation, ndlr) sont extrêmement vulnérables, ils sont nombreux en grève aujourd'hui. Les élèves ne reçoivent pas de masques chirurgicaux, les profs non plus si bien qu'ils sont masqués de manière plus qu'aléatoire, ils jouent à enlever leur masque tout le temps. Les couloirs, les cages d'escalier et les salles de classes où les élèves sont les uns sur les autres sont extrêmement propices à la diffusion du virus.

Dans les grands collèges d'Île-de-France, on approche souvent des 800, 900 élèves, les couloirs sont étroits, les services de restauration scolaire sont bondés : la distanciation est impossible.

Il faut plus de personnel enseignants et plus de vie scolaire, pour réduire le nombre d'élèves par classe. Il faut construire de nouveau locaux. En attendant, la meilleure solution semble être le passage au demi-groupe, une semaine sur deux pour maîtriser les flux d'élèves. En revanche les professeurs ne peuvent pas se dédoubler ou dédoubler leur temps de travail en assurant en même temps des cours en présentiels et des cours à distance pour les élèves à la maison. D'autant que nous n'avons pas du tout de matériel à l'éducation nationale : pas d'ordinateurs, pas de webcam, pas de micro, rien."

Mise à jour, le 8 juin 2022 : à la demande de la personne interrogée, le témoignage de Stéphane utilise un prénom d'emprunt.