
Il a 21 ans. Étudiant en sociologie à l’ENS, l’école normale supérieure. Il est né près d’Abbeville, dans la Somme, dans un village. Père ouvrier, et sa mère s’occupe des vieux.
Enfant et adolescent, il s’appelait Eddy Bellegueule, mais il a changé de nom. Comme s’il voulait oublier ces jeunes années, les rayer de sa mémoire, en finir avec ce garçon-là. Ce garçon-là, celui que nous découvrons dans ce roman, Eddy Bellegueule, c’est un petit garçon efféminé dans un village où les garçons sont des garçons, où la virilité va de soi, où des Eddy Bellegueule sont montrés du doigt.
Jusqu’à dix ans, ça passe, mais une fois au collège, il vit l’enfer, victime surtout de deux garçons qui le frappent et l’insultent.
Edouard Louis raconte le quotidien d’un enfant homosexuel que la société, la famille, le village, les collégiens, regardent comme un étranger. Mais son roman dépasse largement l’homosexualité, en soi. Il témoigne de la terrible construction d’un être jugé différent et, en cela, l’humiliation et l’exclusion sont au cœur de ce livre vraiment universel.
Eddy émeut par sa volonté de ressembler aux autres. Sa quête est de devenir plus masculin, semblable aux autres (au troupeau), c’est même une épreuve qu’il s’inflige. Chaque matin, suivre cette règle : « aujourd’hui, tu seras un dur ».
Aujourd’hui, Édouard Louis étudie la sociologie, il aime Bourdieu entre autres et cet enseignement, cet héritage, se perçoivent dans son style. L’écrivain semble avoir du recul sur ce qu’il a vécu. Il fait de lui son propre objet d’étude.
Regard distancié, compte rendu âpre d’une vie âpre, loin du mélo, pas du genre à pleurer sur soi : les faits, tels qu’il les a vécus.
Au-delà de son propre cas, le romancier passe en revue la vie à la campagne, en Picardie, dans une famille modeste, voire pauvre. Il y a peu de romans sur la ruralité. En voici un, précieux : le froid qui ronge la grand-mère, elle achète des chiens en guise de couverture, le bain que l’on fait couler une fois, une seule et qui sert à toute la famille, pour ne pas dépenser trop d’eau ; Eddy si honteux de devoir supplier l’épicière de faire encore crédit à la famille Bellegueule ; l’alcoolisme des hommes au dos cassé par le travail à l’usine ; la boîte de nuit comme unique distraction ; les kilomètres à faire à pieds, à travers champs, pour aller prendre un cours de théâtre, parce que le père est contre et refuse donc d’emmener Eddy en voiture.
Comment cet enfant a-t-il grandi et survécu ? En fuyant cet univers clos où l’avenir est le même pour tous, l’usine pour les garçons, les caisses du supermarché pour les filles qui souffrent de douleurs articulaires.
Lui a été admis au lycée, à Amiens, option théâtre. Il s’est sauvé. Sauvé de chez lui et sauvé par l’école. Et désormais, par l’écriture.
Edouard Louis, "En finir avec Eddy Bellegueule", Le Seuil.