Pascal Picq : "toutes les conditions étaient réunies pour qu'une telle pandémie advienne"
Invité de Claire Servajean dans l'émission "Une semaine en France", le célèbre paléoanthropologue, spécialiste de l'évolution de l'Homme, explique que la crise sanitaire actuelle démontre qu'il va de plus en plus falloir s'adapter aux conséquences de notre propre évolution et de son impact sur la biodiversité.
Il va falloir s'adapter aux conséquences de notre "succès", de notre évolution
Pascal Picq : "Je suis un baby boomer, j'appartiens à une génération qui a connu un immense progrès, si l'on s'en réfère bien sûr aux pays occidentalisés, une évolution sans pareille, faite de 60 années d'avancées médicales, sur les mœurs, la liberté des femmes (même s'il y a encore tant à faire), sur le droit du travail, l'acquisition globale de libertés…
Avec ces 50-60 années de mondialisation heureuse, nous sommes parvenus à sortir un peu plus d'un milliard de personnes de la faim, de l'extrême-misère, même s'il reste bien sûr encore beaucoup d'inégalités.
Jusque-là tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles
Nous-autres les évolutionnistes auxquels j'appartiens et qui ne sommes pas du genre collapsologues, on s'est aperçu que depuis 10-15 années déjà, avec 1,5 milliards de touristes par an, sans compter tous les trafics liés aux métiers et aux professions, au transport de marchandises, nous avions toutes les conditions réunies pour qu'une telle pandémie advienne.
Certes, on a connu Ebola. Mais Ebola, c'est un virus qui tue rapidement et qui est resté localisé, car touchant des espaces géographiques bien précis n'étant souvent pas connectés aux grands circuits mondiaux. Et là, d'un seul coup, que se passe-t-il ? La catastrophe sanitaire liée au Covid-19… Nous voilà touchés de plein fouet par un virus qui fait le tour du monde en 18 heures…
On n'a pas bien compris la leçon, mais ça s'appelle l'évolution. L'évolution qui continue sauf qu'il faut bien comprendre que les principaux acteurs responsables, aujourd'hui, c'est nous
L'évolution, cette théorie du changement permanent de l'homme dans la nature, dans l'état où se trouve actuellement notre écosystème, implique :
- Les catastrophes naturelles. Il y en a eu et il y en aura d'autres ;
- La biodiversité conditionnée par nos écosystèmes dont le Covid-19 est un petit peu la conséquence ;
- Le succès (soit le progrès) car on ne comprend pas encore suffisamment que plus on a du succès (plus la population mondiale s’accroît et se multiplie chaque année, et avec eux les déplacements, les voyages) plus on modifie l'environnement dans lequel on produit les effets de ces succès qui sont les nôtres.
De ce fait, il va falloir s'adapter aux conséquences de notre succès, de notre évolution
Certes, aux yeux de beaucoup, c'est un discours qui n'est pas tenable mais c'est, en définitive, une devise darwinienne à laquelle il nous faut répondre : à partir de quand serons-nous capables de comprendre que ce qui a fait notre succès ne va pas suffire dans le monde de demain ? Et c'est cela qu'on n'a pas compris. L'évolution humaine nous administre malheureusement, une leçon absolument considérable. Ça continuera. Il y en aura d'autres. Soyons capables de comprendre que nous sommes dans un processus de l'évolution de l'Homme et que nous devons apprendre à mieux gérer.
Comment la vie résiste-t-elle et s'adapte-t-elle à ces agents pathogènes ?
C'est la diversité, c'est la capacité d'avoir des réserves par rapport à ce qui pourrait arriver de manière contingente, sans qu'on puisse le prévoir. Et bien voilà que nous avons sous-estimé le virus H1N1, notamment à l'époque où Mme Bachelot était ministre de la Santé et il se trouve que cette déconsidération générale était un vrai pétard mouillé.
H1N1 c'est quand même la source de la grippe espagnole
Roselyne Bachelot n'avait peut-être pas fait les choses parfaitement, mais c'est ce qu'il fallait faire. Comme ça s'est révélé moins grave qu'on ne le pensait sur le moment, on a baissé la garde. Notre arrogance fait qu'on est sorti de tout cela, on n'avait pas renouvelé les masques et voilà que les conséquences sont criantes aujourd'hui.
Résister dans l'évolution, c'est être capable de mettre en place des capacités, des réserves potentielles pour s'adapter à quelque chose d'inconnu
Malheureusement, le capitalisme managérial, l'économie des masses, la gestion hospitalière déjà en crise ont aggravé les conséquences du virus. C'est la conséquence directe des impérities de nos sociétés."
Où en est-on quant au "monde d'après" ?
"On l'a un tout petit peu oublié et c'est fort dommage parce qu'il y avait déjà, avant tout cela, des tendances très fortes qui étaient amorcées depuis 2019.
Par exemple, le World Economic Forum, autrement dit le Forum de Davos qui avait prévenu que si on continuait à appréhender le business des affaires sans rien changer, en continuant d'augmenter les inégalités sociales, à dégrader la biodiversité et à accélérer le changement climatique, on allait tout droit se casser la figure. C'est devenu, de fait, le thème majeur qui est ressorti pendant le confinement alors que ce n'est pas nouveau. On commence seulement à comprendre la notion d'écosystème : autant nos propres succès (progrès) peuvent être magnifiques mais s'ils se développent dans un écosystème en plein délitement, nous sombrerons avec.
La sélection naturelle, c'est favoriser les choses qui existent ou pas. Est-ce que ça va se faire ? Ce n'est pas encore évident
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