#PasMaRenaissance : la contre-attaque des anti-grossophobie face à la nouvelle émission de M6
Par Laura Lavenne
À 21h05, lundi, la chaîne M6 a dévoilé les tous premiers épisodes de sa nouvelle émission "Opération Renaissance" dans laquelle dix personnes dites "obèses morbides" s’apprêtent à subir une chirurgie bariatrique. Jugée grossophobe, dangereuse et humiliante, son lever de rideau déchaîne les réseaux sociaux.
À l’approche de la diffusion du premier épisode de l’émission "Opération Renaissance" sur M6, ce lundi 11 janvier à 21H05, le collectif Gras politique organise la contre-attaque. Cette opération a un nom, un mot-clé, #PasMaRenaissance, une tribune publiée sur Mediapart et une pétition sur la plateforme Change.org qui est passée de 6.400 signatures vendredi 8 janvier à plus de 23.000 signatures ce lundi 11 janvier.
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La fronde, en réalité, remonte à 2017, au moment où la maison de production Potiche Prod commence le tournage de sa nouvelle émission Opération Renaissance. Trois ans de tournage, plus d’un an de montage et dix témoins, dix personnes présentées comme "obèses morbides" par l’émission, filmées dans leurs parcours de chirurgie de l’estomac, autrement appelée chirurgie bariatrique.
"Une aventure humaine extraordinaire, un format inédit", commente Karine Le Marchand, présentatrice de l’émission dans une vidéo, publiée le 7 janvier sur le compte Facebook du groupe M6. Ces participants, qui ont perdu en moyenne entre 40 et 70 kilos en quelques mois, découvrent ainsi "le bonheur de vivre en bonne santé" selon la voix off du teasing de présentation.
Une émission "humiliante"
Mais pour le collectif Gras politique, tout pose problème : le choix du titre, la mise en scène, la sélection des intervenants et le concept même de l’émission. "L’obésité est une maladie et c’est certainement la seule maladie sur laquelle on ferait une émission comme celle-là, imaginez un programme qui s’intitulerait mon incroyable tumeur au cerveau, ça ne verrait jamais le jour", réagit Crystal, l’une des membres du collectif joint au téléphone par France Inter :
"Le fait est que nous ne sommes pas les sujets de cette émission, nous en sommes les objets, avec l’idée que nous devons être sauvés par les minces."
Derrière le combat militant, elle ne cache pas son bouleversement. "J’ai pleuré quand j’ai regardé les épisodes, les images sont profondément violentes pour les personnes concernées, on y voit des femmes, pour la plupart, en sous-vêtements, parfois nues, inconscientes, avec des instruments chirurgicaux prêts à l’emploi. C’est extrêmement humiliant."
Crystal se reconnait à travers les participantes, elle se projette dans leur parcours chirurgical qu’on lui a si souvent conseillé. Il y a 10 ans, se souvient-elle, c’est un médecin généraliste qui lui en parle alors qu’elle consulte pour une simple otite. Un exemple parmi d’autres. Encore une réalité, à ses yeux, que l’émission occulte. Celle des violences médicales physiques ou mentales vécues par les personnes qui souffrent d’obésité. "L’accueil bienveillant de l’équipe médicale dans l’émission, le staff bien garni qui entoure et accompagne les patients, c'est en complet décalage avec la réalité. Tout est enjolivé. C’est une vitrine publicitaire mensongère pour les chirurgies bariatriques."
De la "souffrance-spectacle"
"Ce qu'ils dénoncent, je le sais, c'est dans l'émission", répond Karine Le Marchand à l'AFP. "Sur les dix candidats, j'en ai cinq en dépression, un qui est devenu alcoolique, une qui a failli mourir au bloc, si ça c'est enjoliver la réalité de la chirurgie bariatrique...", répond la réalisatrice, productrice et présentatrice du programme.
Karine Le Marchand se justifie, au contraire, et explique vouloir "changer le regard sur les personnes obèses en leur donnant la parole, en voyant de l'intérieur ce qu'elles vivent", mais aussi en parlant des mesures à "mettre en place" pour en finir avec le surpoids, explique t-elle lors d'une conférence de presse à laquelle l'AFP a assisté. Les deux candidates de l'émission pilote, présentes lors de cette même conférence, ont d’ailleurs témoigné de l'impact positif sur leur vie : "La vie est changée, le regard est changé", affirme Stacy pour qui on ne peut pas être heureux obèse.
Une affirmation combattue par les opposants à l'émission, dont fait également partie le Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids (GROS). Sa présidente et psychologue, Sylvie Benkemoun, dénonce "de la souffrance-spectacle", tout en critiquant le rôle de Karine Le Marchand, largement mise en scène en salle d'opération, comme sur cette photo publiée sur le compte Instagram de l'animatrice.
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"Elle a l'impression qu'elle a toutes les compétences, or, elle n'en a aucune", poursuit la psychologue. Pour elle, l'émission risque de renforcer l'idée que "gros c'est moche" et qu'on ne peut pas être beau et heureux si l'on a pas recours à ce type de chirurgie. Sans oublier le manque de suivi. Le pire est à venir pour ces candidats, estime Sylvie Benkemoun, qui s'interroge, tout en craignant les risques de dépressions, voire de suicide : "Que va-t-il se passer une fois l'émission terminée et quand les candidats reprendront quelques kilos ?"
"La chirurgie, ça ne peut pas être 'L'amour est dans le gras'", tranche de son côté, Crystal, la militante anti-grossophobie de Gras politique, en référence à l’émission "L’amour est dans le pré", également présentée par Karine Le Marchand.
"On ne peut pas traiter de l’obésité comme on traite des déboires amoureux des agriculteurs avec pour seul objectif affiché la perte de poids."
Pour Gras Politique, "l’objectif de perte de poids ne peut pas être un objectif en soit, encore moins un objectif médical. La nourriture c’est le seul moyen que notre corps à trouvé pour gérer ses émotions, alors on ne peut pas et on ne doit pas imaginer que réduire nos estomacs, résoudra le problème".
Toutefois, le collectif se défend d'être opposé à la chirurgie bariatrique et conçoit que pour certaines personnes obèses, c’est une étape difficile mais bénéfique. Il ne condamne d’ailleurs ni les méthodes de chirurgies, les chirurgiens ou les candidats de l’émission mais d’avantage "les récits faits des corps et des histoires personnelles qui y sont liées au profit d’un programme télévisé destiné à séduire un maximum de spectateurs".
La mortalité liée à la chirurgie de l’obésité n’est pas nulle
Le résultat est là, pour ce collectif : voilà une émission autant "abominable que dangereuse". Dangereuse car les injonctions à la chirurgie y sont hyper présentes, dans le déni des complications et des risques pour la santé. Comme l’indique le site de l’Assurance maladie et la Haute autorité de Santé, de telles opérations comportent des effets secondaires importants (carence en fer, en calcium, en vitamine D, dénutrition, mauvais fonctionnement du montage chirurgical...) et nécessitent un suivi médical à vie.
Toujours selon la Haute autorité de Santé, la mortalité liée à la chirurgie de l’obésité n’est pas nulle mais reste inférieure ou égale à 1 %. "À titre d’exemple, poursuit l’institution dans une brochure, la mortalité opératoire est de l’ordre de : 0,1 à 0,5 % après ablation de la vésicule biliaire, 2 % après pontage coronarien."
Alerter, malgré le maintien de l'émission
Alors pour donner un contre point, une alternative à la chirurgie qui "ne résout pas tout", le collectif tente d’alerter, de prévenir, en donnant la parole aux concernés, aux victimes parfois. Il le fait sur ses réseaux. Ainsi, parmi les témoignages relayés par Gras Politique, figure celui d’un homme anonyme. Un veuf de 55 ans. Sa femme est morte des suites d’une opération bariatrique :
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"La parole des concernés, c’est notre seule arme face à cette émission", poursuit Crystal. "On aurait voulu faire arrêter l’émission, parce qu’elle est dommageable, voyeuriste et outrancière, mais nous ne sommes pas dupes de nos petits moyens."
À défaut d’obtenir son annulation, le collectif suscite des centaines de réactions sur les réseaux sociaux via le hashtag #PasMaRenaissance. Derrière ce mot clé, le message est unanime : "Nous ne sommes pas morts et nous n’avons pas besoin de renaître", résume Crystal. "On peut parfois avoir besoin d’aide, d’être soignés, d’être suivis et accompagnés, psychologiquement notamment, mais ce qui est sûr c’est que maigrir ne nous fera pas renaitre."
En revanche, davantage d’accessibilité, moins de difficultés à voyager, à se déplacer, moins de violences médicales, moins de violences à l’école et dans la société leur permettraient déjà de mieux vivre, conclut la militante.