Patrick Chappatte sur la décision du NY Times d'arrêter les dessins de presse : "il y a de quoi s'inquiéter"
Par Valérie CantiéLe New York Times ne publiera plus de dessin politique dans son édition internationale. Une décision drastique qui arrive après une polémique en avril sur un dessin sur Benyamin Netanyahou, jugé antisémite. Patrick Chappatte, dessinateur suisse, publie deux dessins par semaine dans le quotidien. Interview.
Patrick Chappatte est dessinateur de presse pour l'édition internationale du New York Times, mais aussi notamment pour le Temps, le Spiegel, le Canard enchaîné. Il a appris par l'éditeur et le rédacteur en chef de la rubrique Opinion que l'édition internationale du New York Times arrêterait de publier des dessins de presse politiques dès juillet. En réaction, Chappatte a écrit une tribune et qui a beaucoup fait réagir. Le quotidien a d'ailleurs été contraint de publier à son tour un communiqué confirmant et expliquant sa décision.
FRANCE INTER : Avez-vous compris la réaction du New York Times à la suite de la polémique sur le dessin caricaturant Netanyahou en avril ?
PATRICK CHAPPATTE : "Le New York Times n'a pas voulu assumer ce dessin, il s'en est excusé, il l'a condamné vivement. Je ne peux que être d'accord avec eux car je pense que ce dessin n'aurait pas dû paraître dans le journal. C'était une erreur. Mais le dessinateur était libre de le publier, il n'avait pas d'intention antisémite à mon avis, car je connais ce dessinateur portugais qui l'a fait. C'est la réaction qui a été très très forte et qui aboutit à une mesure qui est un vieux "truc" finalement, qui est quand le message est compliqué, qu'il pose problème, il faut supprimer le messager. Et le dessin de presse, c'est vrai que c'est compliqué à gérer, comme toute liberté, mais c'est un des symboles de la liberté d'expression. Donc quand un espace se ferme, ce n'est jamais une très bonne nouvelle."
Pour qui est-ce une mauvaise nouvelle ?
"Pour tout le monde ! Car au delà du dessin de presse, au delà de moi, la question qui se pose c'est 'comment dans ce monde qui est secoué de tempête médiatique, de réseaux sociaux en furie, de foule en colère qui attaque telle ou telle chose, comment est-ce qu'on répond à cela collectivement ?' Et les journaux, les médias dont le métier est d'informer, d'analyser, de mettre en perspective, sont très mauvais à faire tout cela quand il s'agit d'eux-mêmes. D'ailleurs l'affaire du dessin de Netanyahou a été beaucoup nourrie par les réseaux sociaux. Et j'ai l'impression que les médias ne savent pas réagir à ces tempêtes de ces réseaux sociaux, ces tempêtes médiatiques qui leur tombent dessus. Ce sont souvent les voix les plus extrêmes qui définissent la conversation, ce sont les plus énervés qui définissent quel est le sujet, et qui vous définissent vous qui êtes leur cible. Et vous êtes empêtré là dedans et vous ne savez pas comment répondre. Ça tombe d'un coup sur les rédactions, ça semble tomber de tous les cotés, mais c'est le propre des réseaux sociaux. Ce sont des amplificateurs de colère, ce ne sont pas des lieux de débat."
Comment voyez-vous votre avenir ? La direction du New York Times dit qu'elle va travailler avec vous sur de nouveaux formats.
"Je suis étonnamment optimiste car je pense qu'on est à l’ère de l'image et j'ai développé parallèlement au dessin, des bandes dessinées de reportage, et je suis assez fier de l'avoir amené au New York Times. En 2016, j'ai publié une série sur la peine de mort aux États-Unis. C'était la première fois qu'ils avaient du 'BD reportage'. Et je serais ravi de le faire avec eux s'ils sont intéressés. Mais on ne parle pas de la même chose. C'est une autre discussion. Toujours est-il qu'aujourd'hui c'est le dessin politique qui disparaît. Pourtant, au départ, il n'avait pas sa place historiquement dans le New York Times. Finalement ils s'y sont mis et l'ont assumé plutôt bien puisque c'était dans leur édition internationale et sur le web. La dernière forteresse c'était l'édition américaine mais je ne désespérais pas de les convaincre. Mais l'histoire en a décidé autrement."
Qui dit "fini les dessins de presse", dit "plus de caricature politique" ?
"Le dessin politique est un commentaire unique, qui court-circuite la pensée, qui va droit au coeur et à l'esprit, qui permet de montrer le roi tel qu'il est, que le roi est nu. Il le fait avec une efficacité redoutable sans pareil."
Pensez vous que cette décision du New York Times soit en lien avec la présidence Trump ?
"Qu'on soit pour ou contre Trump, on lui rend service en le caricaturant. Or, c'est toujours du Trump. Que ce soit des bonnes ou des mauvaises nouvelles, c'est toujours de la publicité. Il n'a pas d'humour, il ne regarde pas les dessins, il ne comprend pas ce regard porté sur lui, et comme beaucoup de machos autoritaires il a le cuir très peu épais. Et ses supporters non plus ne comprennent pas et ils attaquent abondamment les dessinateurs de presse. Parmi les dix meilleurs dessinateurs américains, deux ont perdu leur job dans des journaux du Texas et de Pittsburgh l'année dernière car leurs dessins étaient jugés trop anti-Trump par leurs éditeurs ! Donc oui, il y a de quoi s'inquiéter."
Craignez-vous que cette décision du New York Times fasse boule de neige ?
"L'effet boule de neige existe déjà. A l'ère des réseaux sociaux et du pouvoir des foules en colère sur les rédactions, il faut tracer une ligne et se défendre, parce que quand on attaque le dessin de presse c'est la démocratie qu'on attaque. C'est pour cela que ma tribune de lundi a eu un tel écho... CNN, Fox News, plein d'autres médias m'ont contacté. Le New York Times a été contraint de communiquer dans la soirée car ils étaient soumis à de nombreuses réactions y compris d'abonnés."