"Pécuniaire", "Vacherie", "Vaccin" ou même la lettre "A" : ce que la langue française doit aux vaches

Après le loup et l’ours, l’historien de la peinture et des animaux Michel Pastoureau s’intéresse aux bovidés (auroch, veau, vache, bœuf, génisse…) sous l’angle des croyances, des superstitions, des savoirs, des comportements et de l'imaginaire collectif. L'occasion d'observer à quel point nous leur sommes redevables.
L'historien Michel Pastoureau était invité, en compagnie de la vétérinaire Hélène Gateau, de l’émission Grand bien vous fasse d’Ali Rebeihi. Ensemble, ils ont évoqué l’aspect historique et symbolique du taureau (fécondité, puissance), expliqué que c’est le mouvement du chiffon plus que sa couleur qui excite le taureau… et ils ont présenté l’apport des vaches à la langue française.
Le mot "vaccin" vient du mot "vache"
Hélène Gateau explique : "Le terme 'vaccina', en latin, veut dire 'de la vache'. Pour comprendre pourquoi le vaccin vient de la vache, il faut remonter au XVIIIe siècle : une épidémie de variole sévissait sur tous les continents, tuait une personne sur cinq, et défigurait les survivants.
On avait rapporté à un médecin anglais que des fermières directement en contact avec les vaches développaient une sorte de variole très atténuée. Elles n'avaient que quelques boutons et quelques pustules au niveau des mains, là où elles trayaient les vaches.
Les vaches connaissent aussi une maladie proche de la variole : la vaccine.
Ces femmes contaminées à la vaccine contractaient une immunité croisée avec la variole.
Le docteur Jenner a un jour pris le risque d'inoculer ce substrat de vaccine à un jeune garçon de huit ans, qui s’est ensuite trouvé immunisé contre la variole. Et c'est de là que vient le début de la vaccination".
Le mot "pécuniaire" est dérivé du latin "pecus", qui désignait le bétail
Michel Pastoureau : "Dans les sociétés antiques, posséder du bétail et spécialement des troupeaux de bœufs était signe d'une grande richesse. Dans les mythologies grecques et celtiques, le vol de bovins est un thème récurrent. A Rome, c'est un crime très grave de voler les troupeaux de quelqu'un d'autre - et spécialement ceux de bovins.
C'est une richesse et donc le mot qui signifie troupeau, bétail, 'pecus', a donné toute une famille de mots qui a un rapport avec l'argent. D'où notre adjectif 'pécuniaire', par exemple, dont l'existence est déjà attestée dès le XIIIe siècle :
Il y a un lien entre posséder des troupeaux de bovins et avoir de l'argent, être fortuné.
Avant qu'il y ait de la monnaie de compte purement artificielle, on comptait par rapport au prix d'un bœuf. Il servait à évaluer le montant d'une dot, d'une dette, d'une rançon ou encore d'une amende".
La lettre "A" : une tête de taureau inversée
Michel Pastoureau :
Le "A" des Phéniciens, dont est dérivé notre "A" latin, est une tête stylisée de taureau, renversée à l'envers.
Que la première lettre de l'alphabet soit une tête de taureau souligne l'importance de cet animal dans les sociétés anciennes, et notamment quand les peuples commencent à pratiquer l'écriture. Les animaux jouent un rôle important du point de vue graphique dans les langues, et particulièrement le taureau".
"Vacherie", "peau de vache"…
Michel Pastoureau : "Les sens figuré de certains mots empruntent beaucoup au monde animal. 'Vache', 'vacherie', 'vachement' : dans des sens péjoratif, figuré ou argotique, ce n'est pas très ancien ; ils apparaissent dans la seconde moitié du XIXe siècle.
L'explication la plus souvent proposée est liée à l'occupation de la France par les Prussiens en 1870/1871.
Traiter quelqu'un de vache, revenait à le traiter du nom qui désigne la sentinelle, le gardien, le surveillant en allemand, "Die wache", qui vient de "wachen" : garder, surveiller.
Prononcé à la française 'Die wache' devient 'vache'. Il est possible que traiter quelqu'un de vache soit le traiter de surveillant de chiourme allemand.
Puis le mot gagne du terrain dans le langage populaire et crée adjectif et expressions, proverbes, dictons. L'adverbe "vachement" prend, au début, le sens de "méchamment", mais devient rapidement ""très". L'évolution des mots, les faits de langue et de lexique sont toujours, pour l'historien, des documents extrêmement importants. C'est par eux qu'il faut commencer les travaux sur l'histoire culturelle".
Aller plus loin
ECOUTER | Grand bien vous fasse consacré au taureauAvec :
- Michel Pastoureau, historien, qui publie Le taureau (ed.Seuil)
- Hélène Gateau, vétérinaire, à la tête de la revue Docteur Good véto, chaque mardi soir sur 6ter Sos animaux