Chaque vendredi soir, le cinéma associatif Le Clef réalise une projection de film sur un mur extérieur, en plein Paris, pour le grand bonheur des riverains. Une initiative qui fait des petits.
En plein cœur du 5ème arrondissement de la capitale, le cinéma d'Art et d'essai La Clef est occupé illégalement par des passionnés du 7ème art depuis septembre 2019. Sur décision de justice, ils sont désormais menacés d'expulsion et tentent d'amener le propriétaire (le Comité d'entreprise de la banque Caisse d'épargne) à s'engager à garder l'activité initiale. Pour faire vivre ces lieux et apporter un peu d'évasion à leurs voisins pendant le confinement, ils projettent un film, chaque vendredi soir, en plein air.
À 21h15, la séance démarre. Ce soir-là, c'est un classique du Western, L'homme qui n'a pas d'étoile (King Vidor, 1955), qui anime les pierres du bâtiment. Ils sont quelques dizaines, des passants et des riverains, dans la rue ou à leur fenêtre, captivés par l'histoire de trois cow-boys et une patronne de ranch, dans une petite ville de l'Ouest américain.
Au deuxième étage de l'immeuble d'en face, Diego, 11 ans, et Cléo, 8 ans, sont installés à leur fenêtre. Les deux jeunes cinéphiles participent même à la programmation. "Tout a commencé quand on jouait avec des avions en papier, et sans faire exprès, on en a envoyé vers le cinéma", raconte Diego. Il n'en faut pas plus pour les enfants : ils décident d'envoyer un second avion en papier, avec une liste de suggestions de films. Une semaine plus tard, l'une de leurs sélections, La Nuit du chasseur (Charles Laughton, 1956), est projetée juste en face de leurs fenêtres.
Derek Woolfenden, cadreur à la cinémathèque, et Victor Billet, réalisateur, sont deux des occupants du cinéma et membres de l’association "Home Cinéma", rebaptisée "La Clef Revival". À la réception de ces suggestions volantes, ils font alors "d'une pierre deux coups". "On avait dû ajourner la séance de ce film que nous devions programmer à la mi-mars, et celui-ci s'avère être le film culte de ces enfants". Eux qui projettent quotidiennement à l'intérieur de leurs murs ont naturellement choisi de "déconfiner les imaginaires", en installant un vidéoprojecteur qui illumine le mur de pierre.
Mon voisin Totoro (Hayao Miyazaki, 1999), Diamant sur canapé (Blake Edwards, 1962), _Shining (_Stanley Kubrick, 1980)... Cléo et Diego ont bien d'autres propositions pour faire rêver (ou cauchemarder) leurs voisins, le temps d'une fiction. Aucun doute, Isabelle sera au rendez-vous pour ce moment "réconfortant". Installée sur un strapontin, cette riveraine est venue assister à la projection en compagnie d'un de ses voisins "qui reste à bonne distance", précise-t-elle.
Valérie est venue rendre visite à sa mère, habitante du quartier et "très triste" depuis le début de ce confinement. En effet, Anne, 77 ans, se rend habituellement dans l'une des nombreuses salles obscures du quartier tous les jours. "Je suis ravie de voir des films ici, moi qui ai fait une option cinéma dans mes études littéraires", explique-t-elle, enthousiasmée par cette sortie culturelle inattendue.
"C'est une sorte de fête (...) le temps d'une heure et demie", se réjouit Derek. Dès le lendemain de la première projection, "on a eu des gens qui sont venus nous remercier à travers le grillage, nous offrir des masques qu'ils avaient cousu main", continue Victor. "On a tout de suite senti une émulation et une envie de participer".
Depuis, leur idée a inspiré le cinéma bruxellois, le Kinograph, et ils ont également reçu le soutien d'un habitant de Clichy, créateur du compte Instagram "Mur de 20h", qui projette des images de soutien au personnel soignant et à tous ceux qui continuent de travailler en pleine épidémie, depuis le 20 mars.
Le vendredi 1er mai, "date symboliquement très forte", les occupants du cinéma se creusent encore la tête pour trouver un film "en résonance avec la question du travail".