Peut-on remettre en cause la primauté des traités sur les lois nationales, comme le souhaite Eric Zemmour ?
Par Noémie LairS'il accède au pouvoir, Eric Zemmour entend remettre en question la supériorité des traités par rapport au droit national. Cela passerait par une réforme constitutionnelle très difficile à valider et entraînerait des pressions voire des sanctions au niveau international.
Le candidat à la présidentielle Eric Zemmour s'est fixé pour objectif de redonner à la France sa souveraineté, qui s'est érodée, d'après lui, avec les gouvernements successifs. "La réappropriation de notre indépendance passe par une remise en question de la supériorité des traités et normes internationales sur le droit national, hiérarchie qui nous asservit et nous empêche d’agir notamment en matière migratoire", est-il écrit sur le site "Eric Zemmour 2022".
Pour ce faire, Eric Zemmour entend mettre en place "une réforme constitutionnelle qui fera qu'on modifiera l'article 55 de la Constitution et qui fera que la loi postérieure sera supérieure à un traité", a-t-il précisé sur RTL mercredi dernier. Avant lui, Marine Le Pen a indiqué souhaiter la primauté du droit national et plusieurs cadres Les Républicains, comme Bruno Retailleau et Eric Ciotti, ont aussi appelé à une modification de l'article 55. Mais il est très compliqué d'arriver au bout d'une réforme constitutionnelle et cette réforme engagerait la responsabilité de la France. Explications.
L'étape cruciale de la réforme constitutionnelle
La réforme constitutionnelle est la carte magique brandie par plusieurs candidats à l'élection présidentielle ces derniers mois. Or, dans les faits, elle est extrêmement difficile à faire aboutir. La Constitution étant garante de nos droits et libertés, sa modification est très contrôlée. Une révision constitutionnelle nécessite que l'Assemblée nationale et le Sénat se mette d'accord sur un texte, au mot près. Ce texte doit ensuite être adopté par référendum ou par la majorité des 3/5e des suffrages exprimés des deux chambres du Parlement réunies en Congrès à Versailles.
Sous François Hollande, l'Assemblée nationale et le Sénat ne parvenant pas à se mettre d'accord sur les termes exacts concernant la révision constitutionnelle sur l'état d'urgence et la déchéance de nationalité, le projet est abandonné. Sous Emmanuel Macron, le gouvernement Castex s'y est aussi cassé les dents avec l'inscription de "la préservation de l'environnement" dans l'article 1 de la Constitution. La dernière révision constitutionnelle date de 2008. Ce n'est donc pas impossible juridiquement, mais très compliqué, surtout si on ne détient pas la majorité à la fois à l'Assemblée et au Sénat.
La responsabilité de la France engagée
Si hypothétiquement Eric Zemmour parvient à faire adopter cette réforme constitutionnelle, cela aura des conséquences désastreuses au niveau international explique Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille :
Eric Zemmour peut envisager de réviser l'article 55, peut envisager que la Constitution dise que les lois postérieures à un traité priment sur un traité mais cela engagera ce que l'on appelle la responsabilité internationale de la France parce que ce qui vaudra en droit interne ne vaudra pas en droit international.
Il poursuit : "La logique est simple : lorsqu'on s'engage au niveau international, c'est comme si on concluait un contrat. Si, après avoir conclu le contrat, c'est-à-dire un engagement avec d'autres États, on dit 'non, j'ai mon droit interne qui m'empêche de respecter les clauses du contrat', ce serait trop facile. On ne peut pas se délier ainsi de ce qui s'impose à nous en droit international simplement en modifiant son droit interne."
De lourdes sanctions encourues
La responsabilité de la France serait alors engagée et cela signifie qu'il peut y avoir des recours pour demander que la France soit condamnée. Cela pourrait par exemple être le cas devant la Cour européenne des droits de l'homme. "La CEDH pourra dire si la France est coupable ou non, si elle respecte ou non cette convention, dénoncer et pointer du doigt une violation et la sanctionner", indique le constitutionnaliste.
"Il y a aussi la possibilité de la sanctionner pécuniairement au niveau de l'Union européenne si elle ne respecte pas les traités", poursuit Jean-Philippe Derosier. Par exemple, le droit au regroupement familial, auquel souhaite mettre fin Eric Zemmour, est protégé dans le droit de l'UE par la charte des droits fondamentaux.
Les conséquences sont donc nombreuses et extrêmement graves : "On entre dans une sphère à la fois juridique par les condamnations, pécuniaire avec les amendes qui peuvent être prononcées, et surtout diplomatique avec la pression des autres États."
En octobre dernier, la Pologne a remis en cause la primauté du droit européen sur la Constitution nationale. S'en est suivi un bras de fer avec l'UE : "La primauté du droit européen ne peut être mise en cause. La mettre en cause, c’est s’attaquer à l’un des principes fondateurs de notre Union", a indiqué sur Twitter David Sassoli, le président du Parlement européen. Le pays risque de lourdes sanctions et notamment le non-versement de fonds européens.