Picasso à Pékin, Rodin à Shenzen : les musées français se vendent en Chine et partout dans le monde
Par Christine SiméonePompidou à Shanghai, Rodin à Shenzhen : les musées français s'exportent en Chine, après avoir testé et prospéré dans d'autres pays. Ils ont tout à y gagner, en visiteurs, notoriété et mécénat.
Faisant l'éloge de l'ouverture de la Chine, Emmanuel Macron a salué ce mardi les nombreux projets culturels menés dans ce pays par des institutions françaises, notamment le château de Versailles, les musées Picasso ou Rodin, l'orchestre philharmonique de Radio France (qui a signé un partenariat avec le China Philharmonic Orchestra), qui "réinventent la relation" entre les deux pays.
Les musées européens cherchent à capter plus de visiteurs chinois encore. Quand un musée en France enregistre 700 000 visites par an, en Chine, c’est l’équivalent d’une fréquentation mensuelle.
La stratégie développée ces dernières années repose sur l'idée qu'être présents en Chine permet d'attirer les touristes chinois quand ils sont en France. Par ailleurs, il semble que pour les présidents chinois et français, les échanges culturels soient devenus un enjeu d'influence. C'est aussi dans ces logiques que se situent les autres expériences d'institutions muséales françaises à l'étranger.
Le Centre Pompidou à Shanghai, Malaga et Bruxelles
Oeuvre de l'architecte britannique David Chipperfield, le Centre Pompidou West Bund Museum Project s'étend sur 25 000 m2 pour accueillir expositions et rencontres culturelles sur les berges du Huangpu, la rivière qui traverse Shanghai. La ville compte 24 millions d'habitants. Emmanuel Macron a visité la première exposition du musée, The Shape Of Time, qui présente des œuvres typiques de l'art européen et asiatique.
En Chine, le Centre Pompidou revendique son savoir faire en matière d'organisation de musées, des activités de médiation en direction du public, trois expositions annuelles pour montrer sa collection permanente et deux expositions temporaires chaque année. Cela lui rapportera 1,4 millions d’euros par an.
Au Centre Pompidou à Paris, les visiteurs chinois représentent 2% de la fréquentation. L’ouverture de cette antenne à Shanghai, durant la foire West Bund Art et Design, est aussi une vitrine pour attirer plus de touristes à Beaubourg.
Tous les musées français sont incités désormais à développer ce type de politique, pour faire fructifier leurs recettes propres. Le Centre Pompidou à Malaga rapporte déjà 1 million d’euros, et l’antenne de Bruxelles prévue en 2023 devrait rapporter 2 millions d’euros.
Les rencontres photographiques d'Arles à Xiamen
Les rencontres d’Arles sont aussi celles de Xiamen, où elles se sont exportées, sous le nom de "Jimei x Arles". Il ne s'agit pas là d'un musée, mais l'expérience est significative. Chaque année, huit expositions des Rencontres d’Arles sont envoyées sur place et une vingtaine d’expositions photos autour de la Chine et de l’Asie, sont organisées. À Arles, en échange, on récompense des talents chinois pour les faire émerger sur la scène internationale.
Lancé en 2015 à l’initiative de RongRong, photographe phare de la scène indépendante chinoise et de Sam Stourdzé, directeur des Rencontres de la photographie d’Arles, "Jimei × Arles" est devenu en quatre éditions un rendez-vous incontournable de la photographie en Chine et a attiré plus de 230 000 visiteurs (dont 70 000 en 2018).
Le musée Rodin à Shenzhen
Le musée national Rodin qui s'autofinance à 100%, a développé des liens avec la Chine depuis 2013 où le sculpteur français jouit d'une forte aura.
Une coopération entre les deux pays est prévue pour des prêts d’œuvres sur une durée de trois ans, et des ventes d'éditions originales en bronze. Le musée Rodin pourrait concevoir des expositions pour l'antenne chinoise, et fournir des conseils en acquisitions, pour la constitution d'une collection propre.
Le musée Rodin a parallèlement noué un important accord de mécénat avec une grande fortune chinoise pour son embellissement.
Les musées français ne sont pas les seules institutions européennes à vouloir prospérer en Chine. Le British Museum de Londres a créé une exposition temporaire à Shanghai dans un centre commercial de luxe. Le Victoria and Albert Museum a ouvert une galerie au sein de la Design Society à Shenzhen, et la Tate Modern enverra quelques pièces de sa collection au musée d'art de Pudong pour l'ouverture en 2021.
Pour les Européens, toutes les initiatives pour capter la clientèle chinoise sont désormais ouvertes.
En Chine, tout se vend, expositions, moulages, etc.
Le musée du Louvre et le château de Versailles souhaitent développer davantage d’expositions en Chine, c'est une autre façon de s'exporter. Le musée d’Orsay cherche à étendre sa communication vers les publics chinois ; Paris-Musées propose des expositions itinérantes, comme l’exposition du musée Bourdelle au Musée académique d’art de l’université de Tsinghua ; l’Institut du monde arabe (IMA) va organiser une exposition en 2020 sur les routes de la soie. La part des ventes en Chine de l’atelier de moulage de la RMN-GP représente quant à elle plus de 40 % du chiffre d’affaires de l’atelier en commandes spéciales en 2018. Enfin, le musée national des arts asiatiques-Guimet (MNAAG) développe un partenariat avec les musées chinois de Shanghai et de Shenyang qui conduira à présenter en Chine, en 2020 et 2021, une exposition itinérante présentant une restitution 3D du plafond historique d’un salon du palais Dos Santos à Lisbonne, orné de céramiques chinoises d’exportation des XVIe et XVIIe siècles.
Le Louvre à Abu Dhabi et la grosse déception financière
Rappelons que c'est le Louvre qui avait lancé "la mode" des musées exportés, avec le musée d'Abu Dhabi portant son nom. Aujourd'hui 70% de ses visiteurs sont des touristes, et le reste sont des résidents de l'émirat. En ce moment le musée abrite l'exposition "10 000 ans de luxe", et la perle d'Abu Dhabi, bijou découvert par des archéologues sur l'île de Marawah, au large de la capitale des Émirats arabes unis.
Cette implantation hors des frontières hexagonales mérite d'être suivie de près et peut alerter ses confrères sur les mésaventures possibles dans ce genre de projets.
En mai dernier, la Cour des comptes a estimé que les contrats passés avec les Émiratis désavantageaient le Louvre. La marque Louvre devait être cédée pour 400 millions d'euros payés sur 15 ans, selon l'accord signé en 2007, plus une redevance de 8% minimum pour chaque produit de la marque "Louvre Abu Dhabi". L'argent n'a commencé à arriver dans les caisses du musée français qu'en 2018, et l'émirat a revu la redevance à la baisse, ou s'en est exonéré dans certains cas. Le procureur de la Cour des comptes est allé jusqu'à reprocher aux dirigeants du Louvre de ne pas faire valoir leurs droits. Il demande même, dans une lettre de mai 2019, que les ministres de la Culture et des Affaires étrangères attaquent le contrat entre le Louvre et Abu Dhabi.
Picasso fait le tour du monde, et il n'est pas le seul
Pas d'antenne fixe pour le musée Picasso, mais Laurent Le Bon, son directeur, fait voyager la collection du musée parisien. Picasso face à l'art africain au musée d'Abidjian en 2019, projets à Pékin, Montevideo ou au Liban, les réflexions concernent toutes les latitudes. Le musée Picasso n'est pas le seul à "vendre" des expositions à l'étranger. Versailles, le quai Branly, Orsay, Rodin, ont aussi ce type de pratiques.
Comme le précise la Cour des comptes, dans son rapport sur "la valorisation internationale de l'ingénierie et des marques culturelles", son étude des cas des musées est porteuse d'espoir. La vente d'expositions à l'étranger s'avère rentable. Les coproductions avec des musées du monde entier permettent de partager les coûts et les œuvres. Les recettes pour les musées, pour la période 2012-2018, sont ainsi de 0,5 M€ pour le musée du quai Branly-Jacques Chirac, 0,8 M€ pour le Château de Versailles, 1,7 M€ pour le musée du Louvre (hors Abu Dhabi), 1,8 M€ pour le musée Rodin, 3,1 M€ pour le musée d’Orsay et 3,7 M€ pour le Centre Pompidou.