Pierre Billon : "Michel Sardou fait partie de la famille de tous les Français"
Par Julien Baldacchino
Le spectacle "Je vais t'aimer", consacré aux chansons de Michel Sardou, arrive à Paris après plusieurs mois de tournée en France. Pierre Billon, auteur et compositeur pour Michel Sardou, fait aussi partie de l'équipe de ce spectacle. Il raconte ses souvenirs de chansons pour Franceinter.fr
Des "Lacs du Connemara" à "La Maladie d'Amour", les grands standards de la discographie de Michel Sardou ont une nouvelle vie sur scène : depuis l'automne, le spectacle musicale "Je Vais T'aimer" a sillonné les routes de France avec une troupe d'une vingtaine de comédiens, chanteurs et danseurs, pour porter une histoire originale ponctuée par les chansons de Michel Sardou.
Depuis la semaine dernière et jusqu'à fin juin, le spectacle a posé ses valises à Paris, plus exactement à la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt. Le public y découvrira l'histoire de six amis prêts à embarquer sur le paquebot France en 1962, et dont les destins se croisent, se lient et se délient, pendant les 40 ans qui suivent. Où, parmi d'autres, "J'accuse", chanson polémique dans les années 70, prend un tout autre sens quand elle est chantée par un leader syndicaliste des chantiers navals du Havre et où "Je Vole" se retrouve chantée par un personnage qui a perdu toutes ses illusions.
Dans l'équipe créative du spectacle, on trouve un nom bien connu des fans de Michel Sardou : Pierre Billon. Auteur d'une partie de ses grands tubes (et d'une partie de ceux de Johnny Hallyday), celui qui s'est fait connaître du grand public pour sa "Bamba Triste" fait partie de l'aventure. Dans son studio rempli de guitares et de disques d'or, lunettes fumées et voix grave, qui raconte ses souvenirs avec sourire, il revient sur ce spectacle et sur son travail avec Michel Sardou.
FRANCE INTER : Comment vous êtes-vous retrouvé à participer à la création de ce spectacle ?
PIERRE BILLON : Quand je suis arrivé dans le projet, la structure du spectacle existait déjà, Jean-Philippe Denac, qui est à l'origine du spectacle, avait déjà l'idée de départ, et Serge Denoncourt, le metteur en scène, avait trouvé le bon angle pour aborder les chansons. Mais il leur manquait un gros morceau rassembleur, qui réunisse tous les sourires de Sardou en deux minutes et demi. C'est très compliqué à faire. Mais c'était faisable pour des gens comme Jean [Mora, son associé en studio et co-réalisateur du dernier album de Michel Sardou, ndlr] et moi. Michel, je le connais comme ma poche, je connais les enchaînements entre les chansons. On a donc proposé à Roberto Ciurleo, le producteur du spectacle, de faire un medley, un pot-pourri, des chansons phares de Sardou. Jean et moi, sans piano, on lui a fait tout le medley, en chantant. C’est comme ça qu’il nous a proposé de le faire avec nous.
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Ensuite, on a fait chanter les artistes de la troupe, on a été aux répétitions. Et nous avons aussi travaillé sur le duo virtuel de Michel Sardou avec Emji : nous avons repris la voix de Michel de l’époque, et on a créé des harmonies vocales pour elle. Sur ce spectacle, nous sommes comme des "conseillers amicaux". Et le fait que je sois dans la boucle a dû rassurer Michel, qui me demande régulièrement comment ça se passe.
A tous les niveaux, cette comédie musicale est respectueuse des oeuvres de Michel Sardou. Ils ont repris toutes ces chansons mais en les replaçant dans une histoire, le spectacle n'est pas juste un prétexte.
La comédie musicale, Broadway, c'est un univers qui vous parle ?
Totalement. Et je pense même que c’est pour une fois une comédie musicale qui pourrait s’exporter - même si dans le cas des chansons de Sardou, ce serait compliqué d’adapter les textes, c’est quand même très franco-français.
Mais les titres sont tellement énormes… une comédie musicale qui commence par le Connemara, le public américain n’est pas sourd, il se lèvera et tapera dans les mains ! Surtout si tu commences la tournée par l’Irlande ! (rires)
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Vous êtes allé voir le spectacle aux côtés de Michel Sardou pendant la tournée, comment l’a-t-il perçu ?
Il a été très ému. A la fin du spectacle, il m’a dit, "C’est la première fois que je m’installe dans une salle et que j’entends mes chansons, chantées par d’autres".
Michel, c’est quelqu’un qui ne réécoute pas ses titres. Jamais. Quand on a fait son dernier album, juste avant de l’envoyer à la maison de disques, je lui ai envoyé pour avoir son feu vert. Il m’a demandé si on trouvait ça bien, on lui a répondu que oui, il nous a dit go. Il n’a même pas réécouté. Là, il a reçu, dans une salle bondée, au Zénith de Caen, toutes ses chansons. Et d’un seul coup, il était là face à des gens qui balançaient ses titres. Même lui, qui n’est pas un larmoyant, il était très touché.
Et vous, qu'est-ce qui vous touche dans ce spectacle ?
Le public. Ce qui me met la larme à l'œil, c'est de voir ces gens, de 7 à 77 ans, en train de chanter la Maladie d'amour, tous ensemble.
Le fait d'entendre dans le spectacle des chansons que vous avez écrites et composées, y compris certaines qui avaient un peu été oubliées, est-ce que ça leur donne une nouvelle dimension ?
Bien sûr ! Parce qu’elles deviennent visuelles. "Le Prix d’un homme", c’est une chanson que Sardou lui-même avait oubliée, et que j’ai faite avec lui à l’époque. Elle parle d’un mec qui s’est fait kidnapper. Et avec cette dimension visuelle, on comprend beaucoup mieux ce qu’il se passe. Tout devient plus clair.
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C'est la même chose avec "Je Vole", dont on a l'impression qu'à chaque fois qu'elle est reprise (notamment par Louane il y a quelques années), elle change de sens…
Oui ! Certains, dont Michel Sardou, pensent que c’est un suicide, moi je pense que ce n’est pas du tout le cas. Je vois cette chanson comme un départ, comme le déchirement que tu peux ressentir le jour où tu veux faire une fugue.
D'ailleurs, en interview, Michel Sardou dit régulièrement qu'il ne se souvient pas de comment les chansons ont été créées...
Ce qui est très drôle avec cette chanson, c’est que Michel Sardou est persuadé qu’il a fait le texte et moi la musique - car c’était souvent le cas. Alors que c’est l’inverse ! C’est lui qui a fait la musique, je dois tout le temps le lui rappeler. Il est très bon pour faire des musiques ! Par exemple, sur le dernier album, il y a une chanson, "Pour moi elle a toujours vingt ans", qu’on a faite pendant qu’il était en tournée de théâtre à Vichy. On était dans un petit bar d’hôtel, avec un piano pourri. Et voilà Sardou qui fait trois notes, qui commence une chanson. J’ai dû tout enregistrer sur dictaphone. Il avait les premières phrases, et il m’a dit "Démerde-toi avec ça".
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Vous êtes le seul, avec Didier Barbelivien, à avoir travaillé à la fois sur des paroles et des musiques. Ca apporte quelque chose de plus ?
Je pense que oui : parfois, dans une chanson, on a besoin d'un gimmck. Sur certaines chansons, avoir une impulsion sur la musique, ça aide à écrire le texte. Mais souvent, il m'est arrivé de ne faire que le texte, comme "Dix ans plus tôt"… et parfois, c'était collégial.
Sur "Être une femme", on était, Jacques Revaux, Pierre Delanoë, Sardou, et moi, autour d'une table. Delanoë arrive en nous disant "j'ai une idée" – quand Delanoë avait une idée, tu fermais ta gueule, c'était quand même Pierre Delanoë. Et il nous parle d'un songe en absurdie, d'imaginer être une femme. Et c'est Sardou qui donne l'idée de "femme des années 80". Et c'est parti comme ça : à table, l'un lançait "femme des années 80", le suivant "mais femme jusqu'au bout des seins", puis un autre "ayant réussi l'amalgame", etc. Et c'est moi qui ai fait la musique aussi, j'ai même joué la batterie. Mais c'était un fabuleux travail collégial, on n'était pas partis pour faire un tube, on voulait surtout se marrer.
Une musique comme celle-ci, comment la moderniser en 2022 sans la dénaturer ?
Si vous voulez la moderniser pour faire jeune, c'est ridicule. Une chanson, même si elle a 100 ans, on garde ses traits généraux. Si on doit faire "Ne me quitte pas" de Brel, on garde la mélodie au piano… on peut changer d'instrument, mais cette ligne principale, qui fait partie intégrante de l'œuvre, et qui fait partie de la mémoire des gens, on doit la retrouver.
Jacques Revaux et moi, on faisait nos propres arrangements quand on composait les chansons pour Sardou. On est très amis, mais on a toujours travaillé différemment : dans les chansons que j'ai produites, comme "En chantant" ou "Je Vole" c'est beaucoup plus doux. Jacques a besoin de quelque chose de très symphonique, avec des ponts monumentaux, comme a fait Goldman par la suite.
En écoutant les chansons que vous avez écrites pour Sardou il y a près de 40 ans, comme "La main aux fesses" ou "Dossier D", bien avant qu'il soit question de comédie musicale, on a déjà l'impression que vous aviez envie de raconter des histoires très visuelles.
C'est vrai ! Par exemple dans "La main aux fesses", ça part de quelque chose qui m'est vraiment arrivé, un jour où j'ai été bousculé par une fille en patins à roulettes. Et donc ça raconte une histoire, qui est un peu vraie ! "Dossier D", pour moi c'était l'idée que le diable avait toujours eu la possibilité de s'infiltrer dans les grandes catastrophes : ça commence par un mec dans un bar, qui oublie une casquette en partant, et il s'avère que c'est une casquette du Titanic, et que ce mec, c'est le diable.
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En ayant suivi Michel Sardou pendant toute sa carrière, quel regard portez-vous sur sa musique, sur ses chansons ?
J'ai le même regard sur Sardou et sur Johnny Hallyday [dont il était aussi très proche, ndlr]. Ils ne sont pas considérés que comme des chanteurs par les fans : ils font partie de leur famille. Ce sont des gens qui ont été présents aux baptêmes, aux enterrements, aux mariages, à la première fois que vous avez roulé une galoche à votre femme, quand vous avez pris votre première voiture, et aussi la première fois que vous avez eu de gros soucis et qu'une chanson vous a aidé à sortir la tête de l'eau. Ils ont été là à tous les moments, ils sont entrés dans la famille. Combien de fois on m'a dit, à propos de Johnny, "c'est le père, le fils, l'oncle que j'aurais aimé avoir".
Et c'est la même chose pour Sardou. Il n'y a pas une école de commerce qui ne finit pas ses soirées par le Connemara, pas une gamine qui pour faire plaisir à sa maman ne va pas lui chanter Je Vole le jour de la fête de l'école. Sardou et Hallyday, ce sont les mêmes. La seule différence, c'est que Michel est plus difficile à imiter. Johnny était un peu plus dans l'outrance, vestimentaire par exemple, c'est facile de reproduire son style vestimentaire. Mais il y a moins de sosies de Sardou que de Johnny.
Mais Michel Sardou a été aussi souvent critiqué…
Evidemment, il y a des gens qui n'aiment pas Sardou, comme ceux qui n'aiment pas Hallyday. Mais je me suis même retrouvé en interview avec Alexis Corbière de la France Insoumise qui disait qu'il aimait Sardou ! Dans tous les cas, ce sont les deux familles de la France.
Ce qui est dommage, c’est que souvent, dans le cas de Sardou, les gens ont regardé la forme et pas le fond. Alors que si on regarde le fond, c’est beaucoup plus près des gens, beaucoup plus de gauche que d’autres ! Mais la forme était tellement "variété" qu’elle prenait le dessus. Par exemple, Sardou a été le premier à chanter sur le mariage des prêtres. Sur l’homosexualité, il a fait plusieurs chansons, toutes très bien fichues. Quand j’entends que Sardou est réac, ça me fait mourir de rire.
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Prenez "Le France", vous le faites chanter à la guitare sèche par Maxime Le Forestier, ça devient une chanson syndicaliste. Vous la faites chanter par Sardou, ça devient l’inverse. C’est vraiment la forme qui joue. C’est un peu malheureux. Brassens le disait déjà, ce n’est pas parce que vous faites un texte triste qu’il faut une musique triste.