Plus de 7600 parties civiles pour une audience "hors norme" : le procès en appel du Mediator s'est ouvert
Par Charlotte Piret
Le procès en appel des laboratoires Servier s’est ouvert ce lundi pour six mois devant la cour d’appel de Paris. 7653 personnes se sont constituées parties civiles.
C’est la troisième fois qu’un procès s’ouvre dans la salle d’audience dite “des grands procès”, construite au sein de l’ancien palais de justice sur l’île de la Cité à Paris. Après les attentats du 13 novembre et celui du 14 juillet à Nice, c’est au tour des prévenus et victimes du Médiator et leurs avocats d’investir ce lundi 9 janvier l’immense salle d’audience.
Une centaine de victimes, anciens consommateurs du Mediator ou proches de personnes décédées, ont fait le déplacement pour ce premier jour. Mais elles sont 7653 victimes à s’être constituées parties civiles, un chiffre “caractéristique de ce procès hors norme”, souligne d’ailleurs le président. Qui s’est donc exceptionnellement affranchi, au risque d’y passer des heures et des heures, de l’appel des parties civiles, habituel en début de procès. À la place, le président invite les avocats à confirmer le nombre de victimes qu’ils représentent. Me Jean-Christophe Coubris : 3324 parties civiles, Me Charles Joseph-Oudin : 1134 parties civiles, Me Didier Jaubert : 478. Trois cents avocats sont ainsi constitués dans ce dossier. Et pour chacun ou presque : l’annonce de nouveaux décès depuis le procès de première instance il y a deux ans, “et même une personne qui risque de décéder en cours d’audience”, déplore son avocat. Alors, la communauté des victimes du Médiator espère a minima voire la condamnation des laboratoires confirmée à l’issue de ce procès en appel.
"La montagne qui a accouché d’une souris"
En première instance, les laboratoires avaient été condamnés à 2,7 millions d’euros d’amende, quand le parquet en avait requis 10 millions. “C’est la montagne qui a accouché d’une souris”, déplore la pneumologue lanceuse d’alerte, Irène Frachon.
Les parties civiles espèrent donc beaucoup de ce procès en appel au cours duquel le géant pharmaceutique devra à nouveau répondre de tromperie aggravée, homicide involontaire et escroquerie pour avoir caché plus de 30 ans durant le caractère anorexigène, c’est-à-dire de coupe-faim, de ce médicament officiellement vendu et remboursé par la Sécurité sociale comme un traitement du diabète. Jusqu’à ce que la caisse primaire d’assurance-maladie ne révèle le premier chiffre effarant de 500 morts et près de 5 000 malformations cardiaques parmi les consommateurs du Mediator.
Épilogue d’un très long processus judiciaire
Car lorsqu’en novembre 2009 que le Mediator est retiré du marché du médicament, cela fait déjà des années que la pneumologue Irène Frachon se bat pour faire reconnaître les dangers de ce médicament, conçu comme un traitement du diabète mais très largement prescrit comme coupe-faim et délivré à 5 millions de personnes sur les 33 ans de sa commercialisation. La médecin au CHU de Brest a repéré dans le Mediator des effets qu’elle connaît déjà, pour avoir travaillé, des années auparavant lorsqu’elle était encore une jeune interne, sur les dégâts d’un autre médicament, lui aussi commercialisé par les laboratoires Servier : l’Isoméride. Alors, mois après mois elle s’est “transformée en enquêteur face à un puzzle disséminé”, racontait-elle en 2019 lors du procès de première instance à Paris. Pour démontrer “le poison puissant, mortel” qu’est la norfenfluramine, le principe actif du Mediator. En 2008, elle lance une première alerte sur les risques cardiaques que peut engendrer une prise de Mediator. De nombreuses autres suivront jusqu’à ce que la justice s’en saisisse.
En 2013, un premier procès s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Nanterre, en la présence de Jacques Servier, patron des laboratoires du même nom, qui a commercialisé le Mediator, remboursé à 65% par la sécurité sociale. Car une autre instruction est en cours à Paris. Les deux procédures seront finalement jointes et déboucheront sur un premier procès fleuve, de septembre à mai 2019.
Cette nouvelle audience est prévue pour durer jusqu’en juin 2023. Mais il faudra encore attendre plusieurs mois avant le rendu de la décision, fin probable de cette “affaire Mediator”.