Pour organiser sa campagne d’attentats à l’international, le groupe Etat islamique recrute des vétérans du djihad, comme le belge Oussama Atar et le franco-tunisien Boubakeur El-Hakim. Tous les deux, à peine majeurs, ont rejoint la guérilla djihadiste contre les Américains en Irak en 2003. Oussama Atar est passé par la prison américaine d’Abou Ghraib. Dix ans plus tard, il est le seul commanditaire identifié du 13 novembre. A Paris, Farid Benyettou, l’ancien référent religieux du groupe des Buttes Chaumont, se souvient du jeune Boubakeur El-Hakim, impulsif et violent, qui était devenu pour certains jeunes du quartier « le modèle à suivre ». Un autre de ses anciens disciples avait été arrêté juste avant de rejoindre El Hakim en Irak : il s’agit de Chérif Kouachi, qui le 7 janvier 2015 attaque Charlie Hebdo avec son frère et abat douze personnes.
Abou Mohamed Al-Adnani aime se mettre en scène dans le désert, fusil d’assaut en main. Il est le visage et la voix du groupe Etat islamique. Il est né en Syrie mais il porte une tenue afghane, noire.
Abou Mohamed Al-Adnani est plus qu’un porte-parole. Il est le bras droit de celui qui s’est proclamé calife, l’irakien Abou Bakr Al Baghdadi. Tous deux appartiennent à la première génération du groupe terroriste, celle qui était venue combattre les Américains en Irak dix ans auparavant.
Abou Mohamed Al-Adnani contrôle le puissant service de sécurité et de renseignement, l’Amniyat, redouté par les djihadistes eux-mêmes. Il est chargé de détecter les espions ou de garder les otages étrangers, il va aussi diriger la campagne d’attentats en Europe. Et pour cela, il va recruter d’autres vétérans du djihad, comme le Français et le Belge dont je vais vous parler dans cet épisode.
L’un d’eux a grandi dans le XIXe arrondissement de Paris. Il s’appelle Boubakeur El-Hakim. Très jeune, au début des années 2000, il était du genre à se faire remarquer.
"C’était quelqu’un qui aimait se donner en spectacle, qui était très impulsif. Une fois les responsables de la mosquée faisaient faire visiter la salle de prières à une femme, ça c’était quelque chose qui était absolument « inentendable » pour lui, donc il s’était saisi d’une grosse pierre mais vraiment un gros caillou qui fait la taille de ma main, et il avait menacé que… si elle ne sortait pas de la salle de prières il lui fracasserait le crane avec cette pierre!"
L’homme qui nous parle de Boubakeur El-Hakim, c’est Farid Benyettou. A l’époque, ce jeune prêcheur salafiste attire des garçons du quartier des Buttes-Chaumont, qui viennent l’écouter dans des appartements ou au fond de la mosquée de Stalingrad. Après les attentats de 2015, Farid Benyettou s’est engagé dans la prévention de la radicalisation violente, il m’a aidée à en comprendre les ressorts. Je reviens au début des années 2000. Boubakeur El-Hakim s’agrège un moment au groupe de Farid Benyettou, mais il décide vite d’aller plus loin.
Je suis de Paris 19e, tout ceux qui veulent tuer l’islam on va les tuer, tous mes potes dans le 19e je vous dis v’nez faire le djihad, je suis là c’est moi, Abou Abdillah, je suis en Irak, on fait le djihad !
Là, on est en mars 2003, Boubakeur El-Hakim a 19 ans, et il s’entraîne dans un camp près de Bagdad, où un journaliste de RTL l’a rencontré. (...) A l’automne 2004, deux autres jeunes des Buttes Chaumont sont tués, l’un d’eux a commis une attaque suicide, au volant d’un camion bourré d’explosifs. Ce n’est pas leur mort qui va démotiver leurs amis. D’autres jeunes viennent solliciter Farid Benyettou, qui n’a pas l’intention d’aller combattre mais qui trouve des arguments religieux pour légitimer le djihad et les attentats-suicides. Parmi ces nouveaux élèves, il y a Chérif Kouachi, le futur tueur de Charlie Hebdo. Il a 22 ans, il a passé la moitié de sa vie en foyer et famille d’accueil. Il est livreur de pizza, et s’entraîne en faisant du footing dans le parc des Buttes Chaumont. Un garçon impulsif et agressif se souvient Farid Benyettou
"Moi il est venu me voir dans un premier temps avec des questions bien précises. La première, il voulait se venger on va dire, d’un frère il s’était fait arnaquer dans le quartier, donc il voulait s’en prendre physiquement à quelqu’un en lui tirant dessus. La deuxième chose c’est qu’il voulait attaquer ici en France, alors il m’avait pas vraiment bien expliqué, c’est plus tard en garde à vue que des policiers vont m’expliquer qu’il voulait s’en prendre à des restaurants juifs, et la troisième il voulait se rendre en Irak pour rejoindre ses… ses compagnons. Moi je lui avais expliqué à ce moment-là que on ne menait pas le djihad ici en France, pour le troisième projet je l’avais complètement soutenu jusqu’au bout."
Chérif Kouachi décide de partir combattre en Irak, mais il est arrêté le 26 janvier 2005, juste avant de prendre l’avion. En garde à vue, son meilleur ami confirme : Chérif Kouachi voulait d’abord s’en prendre à deux restaurants juifs, « mais Farid lui a dit non ». Chérif Kouachi est condamné à 18 mois de prison ferme.
De son côté Boubakeur El-Hakim, qui a fini par être arrêté en Syrie, est condamné en France à sept ans de prison. Lui se fait remarquer pour son prosélytisme. Il dira plus tard que la prison était « une formidable opportunité » pour prêcher le djihad à la jeunesse.
Un autre jeune homme est parti à 18 ans en Irak, où il a été capturé. Il s’appelle Oussama Atar, il est né dans le Nord de Bruxelles. Le voici en 2006 dans une prison de l’armée américaine, où les détenus sont regroupés sous des tentes, habillés de combinaisons jaunes. C’est là qu’André Jacob, ancien commissaire de la Sûreté de l’Etat belge, est allé l’interroger.
"Lorsque nous arrivons à Camp Cropper en Irak, il apparaît comme un jeune garçon, particulièrement timide, très renfermé, il était profil bas, je dirais, et il communiquait assez facilement. Ce qu’il nous a dit, la façon dont il a expliqué sa vie en Belgique, ses problèmes à l’école, ses problèmes avec son papa, qui était un homme très rigoureux, qui l’empêchait pratiquement d’avoir une vie normal d’adolescent, et son amour pour sa maman, nous a fait penser quand même à une personne certainement fragile, déstabilisée dans sa jeunesse, mais qui n’avait pas nécessairement ce comportement agressif qu’ont les jeunes qui sont embrigadés dans une mouvance terroriste.
Pour l’ancien commissaire André Jacob, en tous cas c’est son opinion aujourd’hui, ces années de détention ont ancré Oussama Atar dans le djihadisme:
"Il faut savoir que les autorités américaines interdisent l’accès à toute lecture, à tout livre quel qu’il soit, nous avions d’ailleurs essayé de lui transmettre par exemple des dictionnaires, cela a été refusé, donc la seule lecture que, heu, les détenus ont, c’est le Coran.
Il a, de lui-même, dit que lorsqu’il était en Belgique, il ne priait pas, mais que, arrivé dans ces camps, tout le monde était obligé de prier !
Il se retrouve sous la coupe de responsables de réseaux terroristes, bref il était dans une situation où même s’il n’était pas à 100% radical, il allait le devenir en restant incarcéré dans ces camps américains."
Dans ces camps sont emprisonnés les djihadistes qui deviendront, dix ans plus tard, les principaux chefs du groupe Etat islamique.
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13 novembre, l'enquête
- Réalisation : Fanny Bohuon
- Mixage : Benjamin Orgeret et Basile Beaucaire
- Musique : « Hivernelle » par Yakie
Bibliographie
- Dounia Bouzar, Farid Benyettou, Mon djihad, itinéraire d'un repenti, éditions Autrement 2017
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