Jusqu'où les entreprises participent-elles à la lutte antiterroriste ?

Jusqu'où les entreprises participent-elles à la lutte antiterroriste ?
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Depuis le 13 novembre, les grandes entreprises luttent à leur manière contre le terrorisme. Retraits de badges d’accès, ouverture de casiers, détection de signes de radicalisation… Tour d’horizon de ces nouvelles mesures et d'éventuelles dérives.

Air France
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© YOAN VALAT/epa/Corbis

Depuis les attentats contre Charlie Hebdo, l’entreprise Véolia était déjà en plan vigilance renforcée. Mais depuis le 13 novembre, cette vigilance est davantage soutenue. Le directeur de la sûreté du groupe, Jean-Louis Fiamenghi , ancien chef du RAID, explique d’un dispositif a été mis en place pour repérer des signes de radicalisation des employés.

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L’entreprise met en place des procédures travaillées en amont avec certains experts, pour étudier les comportements de radicalisme. Ces signes font l’objet d’une attention des directeurs de sites, remontés ensuite à la direction de la sûreté.

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Parmi ces signaux : le refus d’un homme de saluer une femme, un changement de régime alimentaire, l’arrêt d’une activité sportive pratiquée auparavant.

Mais Véolia est loin d’être la seule entreprise : la SNCF a pris aussi quelques dispositions pour renforcer sa sécurité. Comme depuis quelques mois, les services de renseignements travaillent main dans la main avec les entreprises. Ils échangent certaines informations sur les employés. En cas de doute sur un agent, qui fait l’objet d’une fiche S par exemple, le salarié est écarté des postes dits « sensibles », comme les postes d’aiguillage ou de conducteurs de train.

11 septembre 2001 : le déclic

Un cap a été franchi dans la surveillance en entreprise, mais ce mouvement est loin d’être nouveau. Il s’est amorcé, en effet, depuis une quinzaine d’années et qui concerne, pour le moment, principalement les sociétés importantes. Olivier Hassid, directeur général du Club des Directeurs de Sécurité des Entreprises (CDSE), revient sur la prise de conscience du besoin de sécurité en entreprise :

Après le 11 septembre 2001, un tiers des entreprises du CAC 40, n’avaient pas de direction sécurité. Aujourd’hui, toutes les grandes entreprises en ont. Pour les entreprises plus modestes, il y a encore pas mal de travail à faire.

Les pratiques évoluent, donc. Mais une question mérite d’être posée : est-ce vraiment le rôle des entreprises de surveiller et de signaler le comportement de ses employés ? Sur le sujet, les avis divergent. Si tout le monde reconnaît qu’il faut lutter contre le terrorisme, les méthodes pour y parvenir sont parfois contestées et certains s’inquiètent des dérives qu’elles pourraient entraîner.

Chez Véolia, Jean-Louis Fiamenghi se défend de transformer l’entreprise en système policier :

On ne vas pas mettre un état policier à l’intérieur de l’entreprise. 98% des messages qui nous sont remontés sont comme les alertes à la bombe : ce ne sont pas des comportements suspects, mais surtout un sentiment. A nous de faire le tri et de ne pas trop inquiéter les salariés.

De lutte antiterroriste… au flicage

Parce qu’elles étaient soupçonnées de s’être radicalisées, aux Aéroports de Paris, 67 personnes travaillant sur les zones les plus sécurisées, se sont vues retirer leurs badges d’accès. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, encore, près de 2000 casiers de vestiaires d’employés de l’entreprise Servair , filiale d’Air France en charge de la logistique aéroportuaire, ont été fouillés. Pour Serge Nybelen , secrétaire générale de l’Union local CGT de Roissy, nous sommes sur une pente glissante :

Nous craignons qu’il y ait un système de contrôle social, que les salariés les plus engagés dans le militantisme, soient les dindons de la farce. On comprend le besoin de mesures de sécurité supplémentaires, mais on doit le faire dans le respect de l’individu.

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Serge Nybelen regrette qu’un employé, ayant travaillé pour l’entreprise depuis environ 18 ans, se soit vu retiré son badge, sans aucun explication : « On nous dit simplement « sûreté de l’Etat, terminé » , conclut le syndicaliste.

Alors, peut-on sanctionner quelqu’un sans motif précis, sans « faute caractérisée » ? Etre radicalisé, est-ce un motif de mise à l’écart de l’entreprise, voire de licenciement ? La justice aura sans doute bientôt son mot à dire sur ces questions, le débat est loin d’être tranché.

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