« L’affaire Cornélius Gurlitt »

"Par ordre du Commissariat général aux affaires juives : l'accès aux maisons de ventes aux enchères est strictement interdit aux Juifs" exposé au Mémorial de la Shoah à Paris
"Par ordre du Commissariat général aux affaires juives : l'accès aux maisons de ventes aux enchères est strictement interdit aux Juifs" exposé au Mémorial de la Shoah à Paris ©AFP - FRANCOIS GUILLOT
"Par ordre du Commissariat général aux affaires juives : l'accès aux maisons de ventes aux enchères est strictement interdit aux Juifs" exposé au Mémorial de la Shoah à Paris ©AFP - FRANCOIS GUILLOT
"Par ordre du Commissariat général aux affaires juives : l'accès aux maisons de ventes aux enchères est strictement interdit aux Juifs" exposé au Mémorial de la Shoah à Paris ©AFP - FRANCOIS GUILLOT
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Une fiction écrite par par Renaud Meyer et réalisée par Baptiste Guiton. Sous le IIIe Reich, quand les nazis volaient des œuvres d’art appartenant à des collectionneurs juifs... Invitée Emmanuelle Polack commissaire scientifique de l'exposition « le Marché de l’Art sous l’Occupation » au Mémorial de la Shoah

Nous sommes le 22 septembre 2010  dans un train reliant Munich à Zurich. Des policiers arrêtent un septuagénaire à l’attitude étrange. Ils le fouillent et trouvent sur lui une enveloppe contenant une importante somme en liquide. L’homme précise que cela n’a rien d’illégal, mais les policiers le soupçonnent alors de fraude fiscale. L’homme présente ses papiers d’identité et se dit domicilié à Salzbourg. Mais les douaniers s’aperçoivent immédiatement qu’il s’agit de faux-papiers. Ils découvrent sur lui un passeport allemand et un passeport autrichien au nom de Cornélius Gurlitt. 

C’est une affaire hors du commun. En fait ce vieil homme est le fils d’un marchand d’Art sous le III eme Reich qui a profité du vol d’œuvres d’art appartenant à des galeristes ou collectionneurs juifs par les Nazis pour s’enrichir. Une collection de plus de 1500 œuvres fut découverte dans ces deux maisons de Munich et Salzbourg entre 2012 et 2014. Des œuvres de Picasso, Renoir, Chagall et Matisse, mais aussi Monet, Cézane ou encore Rubens, Dürer et Granach ou Brueghel. Un trésor hallucinant caché dans ces maisons depuis plus de 65 ans. Un trésor qui a suscité beaucoup de controverses et recèle encore de grandes parts d’ombre.

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Mais il n’y a pas qu’en Allemagne où les œuvres d’Art furent volées aux galeristes et collectionneurs juifs. En France aussi, une semaine après l’entrée des troupes allemandes dans Paris commence la saisie des œuvres d’art appartenant aux galeristes ou aux familles juives.

A la fois politique de l’occupant Nazi et décision de Vichy,  ces lois ont permis et légalisé l’aryanisation de l’Art et la spoliation des tableaux et biens juifs, des milliers d’œuvres d’Art volées qui pour certaines sont encore dispersées ou dont on a pas retrouvé les traces.

Extrait du scénario

NARRATION : Le 7 avril 2014, Cornélius Gurlitt et ses avocats trouvent un accord avec le gouvernement allemand. Les ayants-droits des familles juives spoliées disposent alors d’un délai d’un an pour prouver que certaines œuvres leur ont été extorquées. La justice promet de restituer à Gurlitt sa collection dans le cas contraire. Cette décision prend en compte le fait que l’opération menée par Hitler contre l’art dégénéré en 1937 a été couverte par une loi rétroactive jamais abrogée. En effet, contrairement à la France, Berlin n’a pas mis en place de cadre juridique de restitution des biens aux familles juives. Voilà Cornélius Gurlitt soulagé. Mais au printemps 2014, la santé du vieil homme se détériore. 

Scène 6.

Nous sommes dans une chambre d’hôpital. Cornélius vient de subir une lourde opération du cœur. La journaliste est à ses côtés.

GURLITT VIEUX : Qu’est-ce que vous voulez savoir encore ? Je suis fatigué par cette opération du cœur. Je veux bien vous accorder un dernier entretien, mais après il faudra me laisser tranquille. 

LA JOURNALISTE : Je ne veux pas vous importuner, monsieur Gurlitt. Je voulais juste évoquer une dernière chose avec vous. Je voulais… savoir si vous étiez conscient de posséder un héritage extrêmement contestable. 

GURLITT VIEUX : Je vous croyais plus fine. 

LA JOURNALISTE : Ne le prenez pas mal, mais pour beaucoup de gens, ce trésor, c’est un vol des familles qui étaient propriétaires des tableaux et un vol pour l’histoire de l’art. 

GURLITT VIEUX : Des grandes déclarations tout ça. Mon père a acheté ces tableaux légalement, toujours, à Drouot. 

LA JOURNALISTE : Votre père achetait à Drouot, mais il se fournissait aussi auprès de Rochlitz, le marchand allemand de la rue de Rivoli, lui-même très impliqué dans la spoliation de biens juifs. 

GURLITT VIEUX : Ces histoires me fatiguent. Arrêtez…

LA JOURNALISTE : Il avait ses entrées auprès d’Adolf Wüster, le conseiller culturel de l’ambassade du Reich à Paris, qui a saisi la collection Rosenberg. 

GURLITT VIEUX : C’était la guerre.

LA JOURNALISTE : Le Matisse de Rosenberg n’étant pas dans la liste des tableaux restitués à votre père en 1945, on peut supposer que Wüster lui a donné après la guerre… alors qu’il continuait à se livrer à des trafics. 

GURLITT VIEUX : Mes avocats ont trouvé un accord avec les familles juives. La petite-fille de Rosenberg a obtenu ce qu’elle voulait, non ? 

LA JOURNALISTE : Ce qui prouve que votre père était plus ou moins impliqué. La femme au profil devant la cheminée de Matisse, dissimulé dans un coffre à la Banque par Rosenberg, a été saisi en 1941 et entreposé par les nazis au jeu de Paume.

GURLITT VIEUX : Assez ! Mon cœur est malade. Toute cette publicité autour de la collection de mon père, ces demandes de restitution, quelle foire, il faut sauver la collection, c’est ça l’important. (Cornélius sort un papier.) Tenez. Vous n’êtes pas tendre avec moi, mais j’ai confiance en vous. C’est mon testament. Il fait du musée des beaux-arts de Berne mon légataire universel. Le trésor de mon père ne sera pas dilapidé. 

LA JOURNALISTE : Vous voulez tout donner ? Vraiment ?

GURLITT VIEUX : Je vais partager un secret avec vous. Ma valise, s’il vous plait. (La journaliste s’exécute. Cornélius sort de sa valise un tableau.) Il est magnifique, n’est-ce pas ? Monet. Le paysage du soir. Celui-là, personne ne l’aura. Je veux le regarder en quittant ce monde. Et dans celui-là, je verrai tous les autres. 

L'invitée Emmanuelle Polack

Emmanuelle Polack est docteure en histoire de l’art et spécialiste de l’art sous l’occupation et des recherches de provenance des œuvres volées lors de la seconde guerre mondiale. Elle est l’auteure du livre « Le marché de l’art sous l’occupation 1940-1944 » paru chez Tallandier cette année. Emmanuelle Polack est la commissaire scientifique de la remarquable exposition « Le Marché de l’Art sous l’Occupation » organisée au Mémorial de la Shoah à Paris du 20 mars au 3 novembre 2019. Elle nous explique comment ces œuvres ont-elles été volées ou spoliées et surtout ce qu’elles sont devenues et comment les rechercher encore aujourd’hui. 

Emmanuelle POLACK
Emmanuelle POLACK
© Radio France - Valérie Priolet

Le scénariste Renaud Meyer

Renaud Meyer est scénariste et metteur en scène.

Générique 

L’Affaire Cornelius Gurlitt de Renaud Meyer

Réalisation : Baptiste Guiton

Avec :

  • Georges Claisse
  • François Praud
  • PaulinE Ziadé
  • Philippe Frécon
  • Christophe Reymond
  • Antoine Sastre
  • François Kergourlay 
  • Marie Dompnier
  • Et les voix de Jean-Charles Delaume et Vincent Launay Francescini
  • Bruitages : Sophie Bissantz
  • Prise de son, montage, mixage : Jean-Michel Bernot, Amandine Grevoz
  • Assistante à la réalisation : Louise Loubrieu

Archive : Pierre-François Veil, l’avocat de la famille de Georges Mandel, (homme politique et résistant, assassiné en 44) dont un tableau volé pendant la guerre et a été retrouvé dans la collection Gurlitt !

Programmation musicale : 

  • MADONNA : Masterpiece
  • Bertrand BURGALAT : Musées et cimetières