Un reportage de Claire Martin, à Santiago, au Chili
Lorena Pizzaro_: «Les camarades qui ont entre 70 et 80 ans, qui ont l’impression que leur vie prend fin, nous ont dit en découvrant ça : ‘Jusqu’à quand cela va durer ?’ Plusieurs d’entre eux ont fait des malaises de rage, de tristesse_ »

Lorena Pizarro est la présidente de l’Association des familles de détenus disparus du Chili. Entre 1973 et 1990, le dictateur Augusto Pinochet a fait disparaître les corps de plus de 1200 opposants au régime, leur dépouille jetées à la mer. Ils n’ont jamais été retrouvés. Pourtant, les noms de ces disparus figurent aujorud'hui sur les listes électorales pour les prochaines élections municipales d’octobre !C’est ce qu’ont découvert leurs famille. 700 disparus seraient administrativement toujours vivants.
Une aberration provoquée par une récente réforme administrative.
Jusqu’ici, le vote était obligatoire sous peine d’amende et l’inscription sur les listes électorales volontaire. Désormais, tous les Chiliens de plus de 18 ans, sains d’esprit, vivants, qui ne sont pas privés de leurs droits civiques peuvent déposer leur bulletin dans l’urne.
Nelson Caucoto, avocat des droits de l’homme, explique pourquoi cette réforme concerne pourtant les détenus disparus.
Nelson Caucoto : « D’un point de vue juridique, cette inscription est tout à fait normale. On ne peut pas éliminer les détenus disparus des listes électorales parce qu’il n’est pas possible de certifier leur mort . »
Si leurs familles refusent de les déclarer morts, c’est pour éviter que leur crime ne soit amnistié. Une loi d’Augusto Pinochet encore en vigueur amnistie tous les crimes commis au début de son régime. Eduardo Contreras est lui aussi avocat des droits de l’homme. Il déplore que cette erreur n’ait pas été corrigée en amont.
Eduardo Contreras : « Quand le projet de loi est passé devant le Congrès, il aurait été si simple d’ajouter une indication excluant des listes électorales les détenus disparus. Le fait que personne n’y ait pensé démontre qu’un des drames les plus terribles de l’histoire du Chili est absent de la conscience, de la mémoire des autorités chiliennes. »
Pour Gabriela Zuniga, porte-parole de l’association des familles de disparus, il est temps de régler un flou juridique qui dure depuis trop longtemps. Depuis le 15 août 1974, elle ne sait rien de son mari ; ils étaient mariés depuis un mois.
Gabriela Zuniga : «Cela fait plus de 23 ans que la démocratie est revenue au Chili. Et il n’y a eu aucune volonté politique pour donner un statut juridique à nos disparus. Il est temps qu’on reconnaisse dans le Code civil qu’il y a des gens qui sont morts, qu’il y a des gens qui sont vivants et qu’il y a des gens disparus, victimes du terrorisme d’Etat. Par exemple, moi, je suis mariée. Je l’ai dit lors du recensement. «Et où est votre mari ?», m’a-t-on demandé. «Il fait partie des détenus disparus ». J’ai demandé que se soit annoté. «Non», m’a-t-on répondu, «il n’y a pas de place ». Pour moi, c’est une façon d’essayer d’effacer leur existence de l’histoire. »
Une histoire qui est toujours aussi vivace pour les familles. La plupart ne savent toujours pas ce qui est arrivé à leur disparu, elles ne parviennent pas à faire leur deuil.