Reportage de Sébastien Gobert, correspondant à Kiev, en Ukraine
Alekseï Mortensov :
On a eu beaucoup de promesses. Mais personne n'a besoin de cet avion. Donc ça va rester ici pendant longtemps. C'est un territoire très grand, il est très difficile de tout nettoyer. Rien n'a été collecté pendant des semaines.
Déjà presque 4 mois depuis la catastrophe du crash du MH17 de la Malaysia Airlines, qui avait coûté la vie à 298 personnes, équipage et passagers. Dans l'est de l'Ukraine, en guerre, les débris de l'appareil restent sur place, éparpillés en rase campagne. Un groupe d'experts hollandais s'est rendu à plusieurs reprises sur le site du crash. Ils ont récupéré une série d'effets personnels. Mais les travaux de récupération et de nettoyage sont loin d'être terminés, et l'enquête n'aboutira probablement jamais, laissant les familles de victimes et les populations locales désemparées, comme Alekseï Mortensov, un habitant du village de Grabove que l'on vient d'entendre, dont la maison se trouve à peine à quelques centaine de mètres d'un des points de chute du crash.
A la sortie du petit village de Hrabove, le paysage est toujours aussi apocalyptique. Eparpillés sur un champ entièrement calciné, des débris de machinerie, des morceaux de carlingue ou encore des roues indiquent encore précisément où se sont écrasés les morceaux du Boeing MH17, ce 17 juillet en fin d'après-midi.
Ce jour-là, Alekseï Mortensov et sa femme étaient dans le jardin de leur maison.
Alekseï Mortensov :
On a d'abord entendu deux frappes, suivi d'un sifflement sourd. Nous avons levé la tête, pour voir l'avion entier tomber sur nous. « Bam ». A quelques dizaines de mètres, là-bas, ça a été un déluge de feu, les arbres, et tout. Très vite, les pompiers sont arrivés, et ils ont dit que c'était la Malaysia Airlines.
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Après le ballet incessant de secouristes, de missions internationales et de journalistes, Alekseï Mortensov n'a plus vu personne. Et pourtant, tous les corps des victimes n’ont pas été retrouvés. Au 08 novembre, 289 des 298 passagers du Boeing ont été récupérés et identifiés. Dans de nombreux cas, les experts n’ont pu retrouver que des membres (bras ou jambes) mais pas tout le corps.

Dans la ville de Torez, un commandant militaire séparatiste en charge de la zone, qui préfère conserver l'anonymat, se défend en expliquant qu'il a été impossible d'organiser une opération de grande ampleur.
Commandant militaire séparatiste en charge de la zone :
Cela n'aurait aucun sens de conduire des recherches méticuleuses, les chiens sauvages ont déjà tout dévoré. Et pour l'instant, il y a des combats sur la zone. Si les ukrainiens arrêtaient enfin de nous attaquer, ce serait possible d'enlever tous les débris. Mais pour l'instant c'est trop dangereux.
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Sur place, les habitants murmurent que la raison principale du manque d'action est avant tout politique. Quoiqu'il en soit, la récente mission hollandaise, sur place, s'est concentrée sur la récupération des effets personnels des passagers : les brosses à dents, les peluches, livres, valises qui étaient restés à même le sol, livrés aux intempéries, pendant près de trois mois.
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Restent donc les habitants, sans aucun soutien, ni psychologique, ni économique. Dans le village de Rozsypne, Marina Bourkala est une de ces victimes oubliées.
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Marina Bourkala :
Chez nous, un corps est tombé dans la maison, à travers la fenêtre. Beaucoup de monde est venu, beaucoup de commissions différentes. Mais nous avons du tout réparer nous-mêmes, avec notre propre argent ! Et puis avec la guerre... On ne sait juste pas ce qu'il va se passer la minute d'après.
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Dans le contexte d'un cessez-le-feu très fragile, les combats se rapprochent occasionnellement de la ville de Rozsypne, toute perspective d'un nettoyage complet et digne de la zone semble illusoire. Et si ce n'est pas la guerre, ce sera l'hiver qui se chargera de faire disparaître les preuves de la tragédie pour toujours.
