Pas mal de personnes s'interrogent sur le pourquoi du confinement, et relativisent la crise sanitaire. Certains n’ont toujours pas compris que le but du confinement n’était pas d’arrêter la circulation virale, mais d’empêcher le débordement de nos capacités hospitalières.
C’est simple : si on a, par exemple, 5000 places en réanimation en France, on peut tenter de limiter la casse et de sauver 5000 personnes. Il y aura des morts mais aucun de ces 5000 malades n’aura été laissé de côté, tous auront été soignés aux petits oignons.
Maintenant que se passe-t-il s'il y a 5001 malades ?
Ce 5001e malade n’aura pas de place en réanimation, et sa mort sera quasi certaine. Maintenant, imaginez que sans le confinement le nombre de malades - qui double selon un modèle exponentiel - dépasse de très très loin nos capacités d’accueil.
Eh bien ce n’est pas 30 000 morts que nous aurions eu en France, vous pouvez multiplier ce chiffre par dix.
[Pour consulter l'étude c'est ici, en anglais]
L’autre jour, sur Instagram, je reçois un message m’expliquant qu’on n'aurait pas dû arrêter l’économie et donc sacrifier la jeunesse pour, je cite, sauver des "vieux et des obèses".
Il y a là-dedans une forme de relativisme eugénique à vomir
Et je voudrais vous parler de ce patient qui a pleuré à mon bureau.
Il a 45 ans, et son épouse est morte du coronavirus en avril.
Je ne peux pas donner son prénom ici, à cause du secret médical, elle s’appelait peut-être Martine, ou Julia, ou Cécile, ou Catherine, elle était douce, aimante, elle adorait ses enfants et la randonnée (surtout les Pyrénées), son parfum de glace préféré était pistache, son mari pleurait, pleure, et pleurera encore longtemps, c’était sa femme, ils s’aimaient et elle est morte.
Et ce patient ne peut pas faire comme si cette crise n’était pas arrivée, les enfants de ce couple ne peuvent pas faire comme si cette crise n’était pas arrivée, les amis de ce couple ne peuvent pas faire comme si cette crise n’était pas arrivée, et moi, son médecin traitant, du haut de mes 35 ans, je ne pourrai jamais plus oublier cette patiente, son mari, leurs enfants, et je ne peux pas faire comme si cette crise n’était pas arrivée.
Alors oui, le confinement va avoir des répercussions économiques dramatiques sur d’autres êtres humains, entraîner en cascade des dépressions, des morts aussi, mais pourquoi pointer du doigt une mesure sanitaire plutôt que le système économique libéral qui rend cette succession de catastrophes possible ?
Quelle société voulons-nous ? Celle qui dit que, pour le bien commun, nous devons sacrifier les plus fragiles, les personnes âgées, les diabétiques, les obèses ?
Vous savez, une vie, c’est long : on finit tous et toutes par être le vieux de quelqu’un, le diabétique de quelqu’un, ou l’obèse de quelqu’un. Donc je repose la question : quel type de civilisation sommes-nous ? Et surtout : quel type de civilisation voulons-nous incarner ?
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