Dans le dernier livre de Caroline Boudet, "L’effet Louise", un récit aussi remarquable que passionnant sur la difficulté d’affronter notre société avec une enfant porteuse de trisomie, elle raconte cette anecdote assez glaçante, celle d’un rendez-vous avec l’ophtalmologue.
Venue pour faire contrôler la vue de sa fille, Louise, 3 ans et un chromosome en plus, mère et fille se retrouvent face à un mur : la praticienne est froide. Ne les salue pas. Ne s’adresse pas à sa petite patiente, jamais. Adresse à sa mère des banalités du genre « Ah oui les trisomiques faut surveiller leur yeux plus attentivement ». Adopte un ton autoritaire et directif.
« Faut tenir la petite, caler sa tête dans l’étau, la maintenir plus fort, en appuyant sur son crâne et en collant son front au harnais, et tenez lui bien les mains aussi. »
Le tout évidemment, pendant que la médecin met des gouttes qui piquent très fort avant de balancer un rayon lumineux dans ses yeux.
En gros.
Et quand sa mère, qui est aussi la personne aidante de sa fille, explique à la soignante que c’est difficile pour Louise de se sentir entravée, qu’elle ne comprend pas ce qui se passe, que d’ailleurs, à 4 ans, aucun enfant, porteur de trisomie ou pas, ne comprendrait, l’ophtalmologue a cette réponse magnifique :
« Ça ne va pas être agréable, madame, mais on ne peut pas être à la fois agréable et efficace. On choisit d’être efficace »
Alors en tant que médecin, je peux vous dire que cette ophtalmologue se trompe. On peut -la plupart du temps- être agréable et efficace. Et même si on ne peut pas, on a le devoir d’essayer. A minima.
Vous allez me dire : quel rapport avec le sujet du jour ?
On cause futur. Technologie. Médecine. Robot et nanomachins-trucs qui maîtriseront mieux que les humains la partie technique du job. Heureusement la médecine ça n'est pas (que) de la technique, et on se prend à rêver que toute cette débauche technologique laissera aux soignants plus de temps, de cerveau disponible, et d’espace pour l’humain.
Parce que cette ophtalmologue a été si efficace que les yeux de Louise sont excellents : chaque fois que la petite la croise dans les couloirs de l’hôpital, elle pleure.
Efficace, je vous dis. .
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