Annick Cojean, journaliste : "Nous devons perpétuer le combat féministe de Gisèle Halimi"

Annick Cojean en 2016 au Festival international du livre et film 2016 étonnants voyageurs
Annick Cojean en 2016 au Festival international du livre et film 2016 étonnants voyageurs ©Maxppp - Joel Le Gall
Annick Cojean en 2016 au Festival international du livre et film 2016 étonnants voyageurs ©Maxppp - Joel Le Gall
Annick Cojean en 2016 au Festival international du livre et film 2016 étonnants voyageurs ©Maxppp - Joel Le Gall
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Dans le cadre de la soirée spéciale consacrée à Gisèle Halimi sur notre antenne, elle est venue nous parler d'une femme qui marqué son époque. Annick Cojean est l'invitée d'Augustin Trapenard.

Avec

Journaliste, grand reporter au journal le Monde depuis une trentaine d’années, Gisèle Halimi s’était confiée à elle, dans un livre paru peu de temps après sa disparition, Une farouche liberté. Un entretien émaillé d'archives sonores de Gisèle Halimi. Annick Cojean est dans Boomerang.

Le nouveau livre d'Annick Cojean, Nous ne serions pas arrivées là si…, paraitra en mai, aux éditions Grasset.

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Soirée spéciale culture
1h 58

Extraits de l'entretien

Le combat n'est jamais gagné

Extrait d'un entretien de Gisèle Halimi avec Pascale Clark dans l'émission Comme on nous parle diffusée sur France Inter en 2011 :

"Quand on n'avance pas pour les femmes, compte tenu du retard à rattraper, on régresse. Mais on régresse parce que ce qui était considéré comme des libertés à conquérir, et ce qui était, et ce qui faisait qu'on croyait qu'on les avait complètement conquises, sont vécues, me semble-t-il, comme des libertés tolérées. Et toute la différence est là.

Je pense qu'il y a véritablement comme un virage, un courant idéologique qui se met en place. Ce que les femmes considèrent comme acquis, ces acquis-là sont toujours frappés par une espèce de malédiction et de précarité. Ce que les femmes conquièrent, ce que les femmes acquièrent est considéré comme un peu pris sur l'ennemi, j'allais dire, mais à reprendre aussitôt par l'ennemi. Il ne faut jamais que les femmes considèrent que ce qu'elles ont est définitif."

À l'écoute des paroles de Gisèle Halimi, Annick Cojean souligne sa clairvoyance : "Quelle flamboyance, quelle lucidité, la percussion avec laquelle elle parle, est toujours magique. Elle nous interpelle et nous oblige à faire attention, à ne rien considérer comme acquis, à être sur le qui-vive, à être vigilants et à être solidaires, nous, les femmes, en tout cas, et j'espère les garçons, aussi."

Elle poursuit : "Nos droits peuvent toujours être remis en cause. On le voit de façon sur le plan économique. Les femmes sont toujours les premières victimes de chômage. Dès qu'il y a une moindre crise économique, ce sont elles que l'on renvoie à la maison."

La situation terrible des femmes afghanes

Interrogée par Augustin Trapenard sur la situation en Afghanistan, Annick Cojean s'indigne : "Là-bas, les hommes sont accrochés à leurs privilèges et surtout à leur sentiment de race supérieure ! J'ai les larmes aux yeux en pensant à toutes ces petites filles qui ont fait leur cartable et qui ont dû rebrousser chemin et qui se désespèrent. Elles voient l'horizon totalement bouchée. Comment se projeter ? Ce n'est pas possible de s'imaginer dans le même rôle que leur mère et de rester à la maison. La plupart des femmes afghanes sont battues, font l'objet de viols conjugaux, sont méprisées de toutes façons, et ne sont considérées que comme des machines à procréer. Assurer la descendance, est le destin qu'on a assigné aux femmes depuis le début de l'humanité. Donc effectivement, aucun grand rêve n'est possible actuellement pour les petites filles."

Elle a remarqué le manque de lucidité des hommes sur ces inégalités hommes-femmes : "Je me demande toujours si les hommes se rendent compte à quel point c'est effroyable ce que vivent les femmes.

L'autre jour, j'étais dans une classe et j'ai dit "Imaginez que l'on fasse cela aux garçons. Désormais, vous ne pourrez plus exercer votre métier, vous ne pourrez plus aller à l'école, vous ne pourrez plus sortir qu'accompagné d'une femme de votre famille…" Tout d'un coup, la classe a éclaté de rire. Pour ces élèves, c'est invraisemblable.

Dans les négociations autour de l'Afghanistan, les diplomates occidentaux sont tous masculins. On a tellement protesté qu'ils ont inclus deux ou trois diplomates femmes. Mais la plupart du temps, ils se disaient pour se concilier les talibans, il valait mieux que ce soit des hommes : c'est honteux !"

Pourquoi Annick Cojean appréciait tant Gisèle Halimi ?

Elle répond : "Mes amis se moquent de moi parce que j'utilise souvent le mot "ardent".

J'aime les gens ardents et Gisèle était ardente : pleines de flamme, pleine de convictions. Pas de colère parce que je n'aime pas la colère. Et puis, elle avait une incandescence et une volonté de convaincre. Ce qui la portée vers les autres parce qu'on ne change pas le monde tout seul. Elle avait une très jolie voix qu'elle n'aimait pas.

Ça me surprenait toujours. Et Gisèle était typiquement le genre de personne qui jouait des intonations de sa voix, de son regard, de ses mimiques, de ses cheveux. Elle était séduisante, séductrice aussi, je pense. Mais tout ça peut jouer lorsqu'on est animé de quelque chose."

Mais elle reconnaît : "qu'elle était aussi farouche, pas toujours facile. Gisèle Halimi avait un besoin de liberté tous azimuts, de liberté pour elle-même. Elle disait même dans une première interview que j'avais écrite pour le monde : "J'avais en moi une force mauvaise et une force sauvage. Certes, il y avait de l'ardeur, mais il y avait quelque chose aussi de difficile, de rageur."

A l'origine de la vocation et de l'engagement féministe de Gisèle Halimi : une injustice

Annick Cojean raconte que l'avocate est revenue auprès d'elle plusieurs fois sur cette inégalité de traitement entre ses frères et elle : ""Vous savez, Annick, ce n'était pas juste". Son père ne voulait pas qu'elle fasse d'études tandis qu'il faisait en sorte que ses frères soient bons à l'école en leur donnant des cours du soir, etc. Alors qu'elle était arrivée première de sa classe, elle était rentrée toute fière chez elle. On lui avait reproché de se vanter. Cela n'avait aucune importance qu'elle soit bonne à l'école. Cette injustice était insupportable. Elle le ressentait viscéralement dans ses tripes."

Elle poursuit : "Elle savait qu'elle était née du mauvais côté. Elle l'a toujours senti. Et puis elle n'a cessé de quémander l'amour que sa mère avait réservé surtout à ses frères. Ce qui n'a cessé de la révolter. C'est une clé pour qui était Gisèle Halimi.

La suite est à écouter

D'autres passages de l'entretien

"Gisèle Halimi secouait les gens et les audiences. Elle était ardente, pleine de flammes et de convictions, mais elle avait aussi cette soif de liberté tous azimuts – et surtout pour elle-même."

"Il n'y a pas de question impossible, il y a seulement des terrains trop difficiles et trop émouvants – un deuil, une violence, une blessure."

"N'oublions pas que Gisèle Halimi a été très critiquée à l’époque. Menacée de mort, traitée de "pute" et de tous les noms. Mais on lui doit énormément de combats : la torture par le viol, l’avortement, la parité ou même le divorce."

"Il faut résister aux règles du patriarcat qui nous emprisonnent, nous menottent et nous ligotent encore, nous les femmes. Dans tous les conflits, les femmes et les enfants sont encore les premières victimes."

Carte blanche

Pour sa carte blanche, Annick Cojean a écrit un texte inédit.

Programmation musicale

  • MARIE LAFORET – LA TENDRESSE
  • ROSALIA + THE WEEK END - LA FAMA