Avocate, et Maitre de conférences en droit, elle faisait paraitre, l’année dernière, "La familia grande", qui sort ce vendredi en poche. Camille Kouchner est l'invitée d'Augustin Trapenard.
Dans "La familia grande", elle retrace son histoire, et raconte comment le silence autour de l’inceste commis sur son frère jumeau, emprisonne, empoisonne et détruit. Camille Kouchner est dans Boomerang.
Extraits de l'entretien
"Ces sujets de l'inceste et de toutes les agressions sexuelles nécessitent de prendre le temps et de laisser place au silence. Il me fallait la littérature. La littérature sert à dire l'indicible."
"Je n'ai pas écrit un livre pour appeler à la justice ni pour condamner la génération précédente, mais pour que les victimes aient le droit à la parole."
"Quand on n'a pas les mots, on se tait. Il fallait concevoir les choses pour pouvoir les énoncer. On apprend à parler pas à se taire. La littérature vous donne les mots."
Et aussi...
Une lame de fond imprévisible
Augustin Trapenard : "Un an après la parution de votre livre, vous pouvez témoigner de ce que peut un livre. Est-ce quelque chose que vous aviez anticipé ?"
Camille Kouchner : "Je n’avais pas prévu l’effet de mon livre. Mais je connais ce qu’un ouvrage peut faire. Je lis beaucoup et la littérature produit l'universel. Elle vient nous chercher. Je lis pour me retrouver dans chacun des récits des auteurs que je choisis. Je suis extrêmement touchée et heureuse que La familia grande ait produit cela aussi."
Redevenir sujet
AT : "Qu'est-ce que l'accueil et le retentissement de ce livre a provoqué en vous ?"
CK : "L'inceste et toutes les agressions sexuelles, reposent sur le fait de faire de l'autre un objet. Lorsqu’on en est témoin dans son enfance, on est aussi réifié. On est contraint au silence. Le fait d'avoir été lue m'a permis de redevenir sujet."
Continuer à porter la parole des victimes d’inceste
AT : "Les témoignages sur les réseaux sociaux sous le mot-clef #metooinceste, la création d’une commission sur l’inceste (Ciivise : La commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfant), une loi du silence qui se brise pour des milliers de personnes et de tout âge… Dans quelle mesure est-ce que cela vous engage ?"
CK : "Ce livre me donne une responsabilité. Je la mesure voyant tous messages qui me sont adressés. Ils sont un partage. Je crois qu'il faut que je continue à porter cette parole-là."
AT : "160.000 enfants victimes d'inceste par an en France… Quelles sont les réponses juridiques aujourd’hui ?"
CK : "Je ne suis plus avocate. Mais je suis toujours maître de conférences en droit. La loi a avancé en 2021 et on ne peut que s'en réjouir. Mais elle peut avancer encore mieux. Mais ces sujets délicats nécessitent du temps et de la réflexion. La Ciivise, avec à sa tête le magistrat Durand, fait un travail vraiment de qualité, d'écoute et de proposition.
J’espère que des changements législatifs vont être faits. Mais il y a toujours le droit et la pratique. On peut multiplier les textes si la pratique ne change pas, si l'écoute ne s’améliore pas, si la compréhension du sujet n’est pas modifiée, on prendra du retard. Si les victimes ont l'impression qu'ils ne peuvent pas confier leur parole, ils ne parleront pas à la justice.
AT : Et pour vous ?
CK : J 'ai écrit un livre, je ne suis pas allée chercher la justice. L'affaire était prescrite. Cela a été classé sans suite. Je respecte. Je n'ai pas écrit un livre pour appeler à une condamnation.
J’ai publié ce témoignage parce qu’il est légitime que les victimes aient le droit à la parole, le droit à leur humanité et le droit d'écrire, ou de parler.
Appeler à une condamnation, je peux le comprendre. Mais chacun a son chemin. Avec la Familia Grande, ce n'était pas du tout mon ambition. Je voulais décrire le chemin d'un témoin. J'ai lu plein de choses sur la vie intime des auteurs que j'adore. Je me suis dit cet inceste faisait partie de mon intimité. Il n'y a pas de raison que je le cache. Qu'est-ce qui ferait que l’on puisse décrire l'enterrement de son père, ou un avortement, mais qu’on ne puisse pas écrire : moi, j’ai été témoin de ça.
AT : Vous écrivez : "Petit, mon frère m'avait prévenue : Tu verras, ils me croiront, mais ils s’en foutront complètement."
CK : Peut-être que c'est le chemin de l'histoire. Peut-être que voilà, la réflexion nécessite du temps et qu’à chaque génération, on avance doucement sur ces questions-là.
À l'époque, en effet, il n'était pas évident que chacun puisse concevoir que s'en prendre à un adolescent, c'était forcément créer un traumatisme chez lui.
Aujourd'hui, on avance. J'en suis très heureuse, même si je n'ai pas écrit un livre pour condamner la génération précédente. En revanche, cela me satisfait, à mon âge, de pouvoir participer à un débat sociétal et prendre en compte ces avancées nécessaires.
AT : Est-ce que votre beau-père, Olivier Duhamel a lu votre livre ?
CK : Je ne sais pas, mais je n’ai absolument pas envie de parler de lui. **J’**ai écrit un livre sans le citer d'ailleurs, pour ouvrir un sujet, et retrouver ma voix.
Et ce n'était pas un livre sur lui. C'était plutôt un livre sur moi.
Ouvrir le livre par la mort de sa mère
AT : Pourquoi avoir choisi de débuter le livre par son décès ?
CK : Parce que ce moment est d'une certaine manière celui où je redeviens sujet. Elle était tellement présente dans ma vie, même si elle s'était éloignée à la fin. Mes choix, ma manière de réfléchir le monde commençaient par une question qui était : qu’en penserait-elle ? Cette question persiste même si avec sa disparition, je n'ai pas forcément de réponses, et que je suis sujet autrement.
C'est aussi pour elle que vous l'avez écrit, ce livre ?
Bien sûr que c'est pour elle. Je me suis posée la question de savoir si c'était un livre de rupture ou un livre de transmission. J’opte pour ce dernier choix. Il y a des ruptures violentes, mais parfois, il faut une bonne rupture pour mieux se réunir.
Et je crois que c'est beaucoup grâce à ma mère que j'ai écrit ce livre. Mais aussi grâce à ma grand-mère, et beaucoup aussi grâce à ma tante. C'est cette conviction que j'avais : ce livre pouvait avoir une vocation universelle, pouvait rendre compte de quelque chose qui nous unissait tous. C'est elles qui m'ont appris cela.
La question du pardon
AT : Vous aurait-elle pardonnée ce livre ?
CK : C’est une question centrale du livre. Est-ce qu'elle m'aurait pardonnée ? Oui, en me faisant la guerre, mais elle m'aurait pardonné. Et moi ? Bien sûr que je lui pardonne. Mais parce qu'en faisant un peu le tri dans mes pensées, est ce que elle a des choses à se faire pardonner ? Je n’en suis même pas si sûre.
Elle n'a pas eu la réaction que j'attendais, mais elle, elle n'a rien commis.
AT : "Comment vous, qui pourtant, avez grandi dans une famille qui encourageait sans cesse à prendre la parole, avez-vous appris, presque malgré vous, à vous taire ?"
CK : "Se taire est quelque chose de peut-être plus naturel. On avait beaucoup d'exigences autour de moi. On avait le droit de parler, mais il fallait savoir choisir ses mots. Et donc, quand on a l'impression qu'on n'a pas les mots, on se tait. Ce n'était donc pas si difficile de me taire au début."
Le consentement, question centrale
AT : "Que vous a apporté le livre Le Consentement de Vanessa Springora ?"
CK : "Il a énormément compté parce que fait ce titre est absolument génial. Consentement. Tout est là. Qu'est-ce que ça veut dire consentir ? Ce livre est remarquable. Il n'y a aucune animosité. Elle explique et s’interroge : est-ce que j'ai consenti ? est-ce que je n'ai pas consenti ? Est-ce que c'est une question qui se pose à cet âge-là ? Ce livre a été libérateur parce que c'était les questions que je me posais aussi. C'était l'abîme d'angoisse dans lequel j'étais."
AT : "L'inceste dont vous parlez dans le livre ne vous est pas arrivée directement, mais à un proche, votre frère jumeau"
CK : "C’est quelque chose à régler envers soi-même. A un moment on se détache et on se dit il n'y a pas qu'une seule voix. On a le droit d'avoir deux voix. J'ai le droit d'avoir la mienne, alors qu'il ne m'est rien arrivé directement. C'est une vraie question. C'était c'est difficile. Ça l'est toujours d’assumer : Moi, je ne suis pas d'accord avec le fait de nous maintenir dans le silence."
Carte blanche
Camille Kouchner a lu un texte inédit
Et aussi...
Camille Kouchner a lu Dit de la Force et de l'Amour de Paul Eluard en hommage à sa mère
Dit de la Force et de l'Amour
Entre tous mes tourments entre la mort et moi
Entre mon désespoir et la raison de vivre
Il y a l'injustice et ce malheur des hommes
Que je ne peux admettre il y a ma colère
Il y a les maquis couleur de sang d'Espagne
Il y a les maquis couleur du ciel de Grèce
Le pain le sang le ciel et le droit à l'espoir
Pour tous les innocents qui haïssent le mal
La lumière toujours est tout près de s'éteindre
La vie toujours s'apprête à devenir fumier
Mais le printemps renaît qui n'en a pas fini
Un bourgeon sort du noir et la chaleur s'installe
**Et la chaleur aura raison des égoïstes
Leurs sens atrophiés n'y résisteront pas
J'entends le feu parler en riant de tiédeur
J'entends un homme dire qu'il n'a pas souffert
Toi qui fus de ma chair la conscience sensible
Toi que j'aime à jamais toi qui m'as inventé
Tu ne supportais pas l'oppression ni l'injure
Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre
Tu rêvais d'être libre et je te continue.
Programmation musicale
- FISHBACH – MASQUE D OR
- THE BEATLES– JULIA
Programmation musicale
- 09h27
Julia MCCARTNEY PAUL JAMES (Compositeur)Julia, THE BEATLES
Album The Beatles (2018)Label UNIVERSAL - 09h38
Masque d'or (Radio edit) FLORA FISHBACH (Compositeur)Masque d'or (Radio edit), FISHBACH
Album Masque d'or
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