

Qui se souvient de Boughéra El Ouafi, première médaille d'or française sur un marathon aux Jeux Olympiques d'Amsterdam en 1928 ? Itinéraire d'un Algérien, pauvre, qui surpris tout le monde par sa rapidité en 1928, et qui finit assassiné en 1961.
Petit, il courrait déjà, chez lui, dans le désert algérien, pour récupérer les chèvres de son troupeau. Plus tard, mobilisé pour la 1ère Guerre mondiale, on le voit courir encore, sous les bombes ennemies, sur le champ de bataille, pour récupérer les soldats blessés. Boughéra El Ouafi court, tout le temps. Qui se souvient ce petit Algérien à la tignasse hirsute, médaille d'or sur le marathon, seul médaillé français en athlétisme aux Jeux Olympiques d'Amsterdam en 1928 ?

L'hommage de Mimoun en 1956
Seul Alain Mimoun, médaillé d'or aux Jeux de Melbourne en 1956, s'est souvenu de celui qui lui a montré la voie. Quand il rentre à Paris, on l'attend à l'aéroport. Il y a du monde mais lui, ne pense qu'à El Ouafi dont on n'a plus de nouvelle. Grâce au concours du journal L'Equipe il va le retrouver. "Il était au chômage, miséreux. J'ai voulu qu'il soit reçu par le président Coty comme moi." C'est ce qu'Alain Mimoun raconte dans les années 90.
Tu n'étais pas obligé… Aujourd'hui c'est toi le héros
La réception à l'Elysée, Christophe Girard la dessine avec des visages vieillots, des couleurs sombres. Paul Carcenac et Pierre-Roland Saint-Dizier y apposent les mots de Mimoun : "Il y a un homme parmi nous qui m'a ouvert la voie. Je vous demande d'applaudir le médaillé d'or Boughéra El Ouafi." Au milieu des officiels, le vieux Boughéra El Ouafi, aux cheveux blanc, appuyé sur sa canne, a les yeux ronds : "Tu n'étais pas obligé. Aujourd'hui, c'est toi le héros." Cet hommage sera le seul que connaîtra Boughéra de son vivant.

L'effort et la souffrance sont des vertus cardinales du marathonien
Comment expliquer qu'on ait oublié Boughéra El Ouafi ? Il faut comprendre l'époque. Pendant la Première Guerre Mondiale, Boughéra est repéré par un supérieur. Dans l'histoire racontée par Carcenac, Saint-Dizier et Girard, on voit El Ouafi s'entraîner sans comprendre vraiment les enjeux. C'est un bon gamin, qu'on a envie de récompenser. Victorieux aux championnats de France du marathon, il obtient une 7ème place aux Jeux de Paris en 1924. Puis, par le prisme d'un copain de régiment, il débarque chez Renault, à Boulogne-Billancourt. Là, un club l'attend.

Va falloir te remuer si tu veux gagner un jour contre des athlètes de 1er plan
Entraînement après le travail à l'usine, à la dure. Mais qualification pour les Jeux d'Amsterdam en 1928. Dans une autre BD, Marathon, parue l'an dernier, Nicolas Debon et son dessin teinté de rouge, raconte l'histoire de cette course. Avec au départ en tribune, les méprisants, racistes, El Ouafi est l'indigène, le paresseux. Pendant la course, des coureurs le traitent de sauvage.

Planches après planches, on voit les marathoniens, en pieds, en jambes. Boughéra est l'ombre bleue au milieu de ce rouge omniprésent. Celui qui surprendra tout le monde en arrivant seul, loin devant tous les autres.

Les auteurs de l'Or d'El Ouafi racontent la suite. La médaille d'or ? Un entrefilet dans les journaux. Le marathon n'intéresse personne. Un Américain repère El-Ouafi et l'embarque dans une tournée de courses-spectacles aux Etats-Unis. La BD le montre dans un cirque en train de défier des animaux à la course, chevaux, guépard. El Ouafi reste un gamin gentil qui fait ce qu'on lui dit. Mais quand il rentre en France, douche froide.
Vous êtes passé professionnel en vous exhibant dans des cirques et des foires. Vous n'avez plus rien à faire sur une piste d'athlétisme

Il retourne à l'usine puis se fait escroquer. Entre fiction et réalité, la BD raconte simplement cette vie digne d'un roman. Un dessin très fin, pas un mot plus haut que l'autre, El Ouafi ne se plaint jamais. Il prend ce qu'on lui donne. Il terminera sa vie comme l'a dit Alain Mimoun, dans la misère. Il mourra en 61, victime d'une fusillade. On parle d'un règlement de compte entre mouvements indépendantistes algériens. On ne saura jamais vraiment. El Ouafi a tout simplement été oublié.
L'Or d'El Ouafi chez Michel Lafon.
L'équipe
- Production
- Chronique