

Bonjour la France Inter ! Aujourd'hui, Charline Vanhoenacker et Juliette Arnaud reçoivent la pneumologue Irène Frachon !
Biographie
Irène Frachon est pneumologue au CHU de Brest. Elle a joué un rôle décisif, celui de lanceuse d'alerte, dans l'affaire du Médiator.
Le Mediator est un médicament prescrit à 5 millions de personnes en France, et commercialisé pendant plus de 30 ans par le laboratoire Servier, l’un des plus puissants laboratoires français. Irène Frachon a permis de révéler l’existence de milliers de victimes et d’une dissimulation par la firme de la nature coupe-faim et toxique du médicament. L’on recense encore aujourd’hui de nouvelles victimes du Mediator...
Elle vient pour une BD, Mediator, un crime chimiquement pur, sortie le 4 janvier 2023 aux éditions Delcourt. Les auteurs sont : Irène Frachon, Eric Giacometti et François Duprat (dessin).
Extrait de l'entretien
Pour débuter l’émission, après avoir fait écouter la voix de Louis Jouvet dans Knock (1951) évoquer la médecine, la pneumologue a décidé de lire à l’antenne les vœux de Jacques Servier en janvier (alors PDG des Laboratoires Servier qui produit le médicament Médiator) : « Alors maintenant, puisqu'il faut parler des incidents, vous savez tous que nous nous trouvons devant un incident très bruyant qui est un peu dû à l'histoire d'un de nos produits mineurs qui s'appelle le Mediator. Il n'a jamais représenté que 0,7 % de notre chiffre d'affaires, donc vous voyez que nous n'avions pas là d'intérêts à défendre. […] On tenait à ce produit parce que beaucoup de diabétiques en étaient très contents. C'était l’un des antidiabétiques les plus compatibles avec une vie quotidienne possible. Or, nous connaissons bien le diabète puisque nous y sommes depuis 50 ans. Le diabétique est un malade sympathique pour des tas de raisons. D'abord, parce qu'il souffre de beaucoup de choses. […]. »
Après avoir expliqué qu'il n'y avait pas plus de trois morts… Il poursuit : « Donc est-ce qu'il y a eu des accidents ? Je ne crois strictement pas. Une charmante dame, docteure à Brest, a dit qu'il y avait 500 morts. Et pourquoi 500 morts ? Très bon chiffre, 500. C'est un vrai chiffre de marketing que vous aurez choisi parce que davantage ça ne serait pas cru, et moins ça ferait pauvre. Mais on a bien regardé dans nos papiers. Il y a peut-être trois personnes qui sont mortes sous le médicament et ces trois personnes étaient dans un très mauvais état. Elles seraient mortes d'autres choses. Donc cette histoire est inconsistante, et les trois personnes en question seraient mortes après avoir pris n'importe quel médicament ou rien. Voilà donc pourquoi il faut garder notre confiance, bien veiller et naturellement se donner beaucoup de peine ».
Irène Frachon reverse ses droits d’auteur de la BD à l’association Mieux prescrire
Elle explique ce choix : « C’est une revue très chère à mon cœur qui est très critique sur les médicaments. Elle est totalement indépendante de l’industrie pharmaceutique, ce qui n’est pas le cas de la majorité des revues auprès desquelles les médecins s’informent. Cette revue vit des abonnements. Cela fait très longtemps que j’y suis abonnée, car j’ai l’impression que c’est un garde-fou. C’est elle qui dès 2006 donne l’alerte sur le médiator. »
Lanceuse d’alerte, mais pas toute seule
Une BD pour prouver que les mécanismes de résistance démocratique étaient encore vivaces ?
Irène Frachon : « Oui, on a beaucoup parlé de moi comme lanceuse d’alerte. En réalité, je n'aurais pas pu faire éclater ce scandale sans l'appui de concitoyens qui se sont levés et qui m'ont dit : « Je viens avec toi ». Ils ont pris des risques. Que ce soit un médecin de la Sécurité sociale, que ce soit des hauts fonctionnaires, des petits étudiants, des citoyens ordinaires… Cette bande dessinée leur rend hommage. »
Irène Frachon précise dans ce livre que c'est une affaire qui a d'abord touché les femmes. Le corps des femmes, un enjeu commercial. Est-ce que si elle n’avait pas été une femme, elle pense qu’elle aurait agi de la même façon ?
« Je me suis souvent posé la question. J'ai toujours un peu considéré que le fait d'être une femme n'avait pas beaucoup compté dans ma carrière. Et pourtant, en rembobinant le film, je comprends que le fait que je sois une médecin, femme, de province, pourquoi, face à moi, j'ai majoritairement des gros professeurs parisiens machos, ignobles ? Je me dis que ce n'est pas tout à fait par hasard. »
Il y a eu un livre (Le Médiator), puis un film (La fille de Brest)… Pourquoi une BD ?
Irène Frachon : « Un livre serait tombé des mains de n'importe qui alors que je vous mets au défi de lâcher cette bande dessinée une fois que vous l'aurez ouverte.
Tout ce qui a été dit jusque-là ne concernait que l'affaire du Médiator, qui n'est qu'une énième réplique d'un drame sanitaire abominable qui se déroule depuis les années 1960. Le journaliste Éric Giacometti avait à l'époque a enquêté sur l'Isoméride, il avait cherché à faire sortir ce premier drame, resté impuni en France, mais il a écopé de plusieurs procès et a subi des manœuvres d'intimidation.
Là, nous avons voulu faire ce lien, prendre du recul et se demander quelle est l'histoire de cette firme qui se comporte pratiquement comme une secte ? Cette "maison", longuement liée à ces coupe-faim, de véritables drogues, des amphétamines, qui ont été maquillés, l'une en coupe-faim, l'autre en antidiabétique.
Ce crime se noue dans les années 1960 et va se dérouler implacablement avec son sillage de morts et de blessés graves pendant 60 ans. Le premier comprimé de ces coupe-faim a été mis sur le marché en 1963. C'est invraisemblable, c'est insupportable et je le dénonce de tous les moyens possibles. »
Une pétition circule pour faire retirer à titre posthume la Légion d’honneur à Jacques Servier
Irène Frachon : "Jacques Servier a été décoré des mains de Nicolas Sarkozy en 2009. Mais il a été décoré par tous les pouvoirs. Et alors qu’il était déjà question de l’Isoméride, qu’une enquête des Renseignements généraux pointait des choix d’employés très discriminants. Le discours de remise de la décoration se terminait par "En tant qu'entrepreneur, vous critiquez l'empilement des mesures, des normes, des structures et vous avez raison".
Et effectivement, Servier dénonçait les effets pervers du dirigisme, c'est-à-dire tout simplement vérifier que ce qu'on donne aux Français, ce n'est pas des poisons. J’ai écrit cette BD pour nos gouvernants, pour ceux qui sont dans les assemblées, dans les cabinets ministériels, notamment à l'économie pour qu’ils sachent qu’un emploi ne vaut pas un mort et j'aimerais bien qu'ils s'en souviennent".
Penser l’utilité de certains médicaments de façon indépendante
Interrogée sur la rupture d’approvisionnement de certains médicaments, la pneumologue explique qu’elle est inquiète : "La question des ruptures de médicaments essentiels se pose absolument partout : pour mes patients au quotidien, que ce soit en officine ou que ce soit à l'hôpital.
Pour saisir ce problème à bras-le-corps, il ne faut pas seulement avoir comme interlocuteurs les industriels, mais des personnes indépendantes qui réfléchissent à cette question des médicaments essentiels depuis très longtemps et qui sont très peu entendues encore aujourd'hui.
Je vois qu’Orpéa a été récupéré par la caisse des dépôts. Je trouverais tout à fait bien, par exemple, qu'une entreprise comme Servier, qui a de très belles usines, soit récupérée par la puissance publique pour fabriquer des médicaments utiles. Il faut savoir qu'aujourd'hui, par exemple, le premier médicament vendu par Servier qui lui rapporte le plus d'argent, s'appelle le Daflon, c'est un médicament pour les jambes lourdes. La Haute Autorité de santé a évalué ce médicament, et a déclaré que ça n'avait aucun intérêt dans aucune de ces indications. Il faut qu’on sorte de ça !"
La suite à écouter...
Programmation musicale
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Cannonball - 17h40
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