

Une vague scélérate a été enregistrée au large du Canada. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Quelle différence avec d'autres vagues ? Et quels mécanismes engendrent ces monstres d'eau venus de nulle part et terreur des marins ?
La vague scélérate la plus extrême jamais enregistrée a déferlé au large de Vancouver, "le genre de truc qui n'arrive qu'une fois en mille ans" commentait une journaliste canadienne : une vague de 17,6 mètres enregistrée par des bouées en novembre 2020, mais qu'une étude parue dans la revue Nature a en quelque sorte validée, décortiquée, il y a quelques jours - c'est pour ça qu'on en parle maintenant.
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Alors, vous allez me dire "17,6 mètres et c'est la plus extrême, ils s'emportent un peu les mecs". Eh bien non, pas du tout, parce qu'on ne parle pas de la hauteur pure de la vague, mais de sa proportion par rapport aux autres vagues du coin. Et, pour cette vague-là, c'est quasiment trois fois la hauteur moyenne des autres vagues.
Je me suis donc dit que c'était la bonne occasion de faire un petit tuto des vagues scélérates avec un spécialiste en la matière, Christian Kharif, professeur émérite en mécanique des fluides à Centrale Marseille.
Qu'est-ce qu'une vague scélérate ?
"C'est une vague dont la hauteur verticale, crête à creux, est supérieure à deux fois la hauteur significative des vagues. Est-ce que c'est que la hauteur significative des vagues ? C'est la moyenne du tiers des vagues les plus hautes". C'est-à-dire que si vous mesurez par exemple 300 vagues sur un même lieu, vous allez faire une moyenne des 100 les plus hautes et vous aurez donc ladite hauteur significative. Et les vagues scélérates font donc au moins le double et le triple (même en ce qui concerne le Canada).
Et si on les a appelés "scélérates", c'est parce qu'elles ont un petit côté sournois : "Ce sont des vagues qui surgissent de nulle part et qui disparaissent brutalement, elles apparaissent une ou deux minutes puis elle disparaissent". Et ça, n'importe quand et n'importe où - ça peut même être le long des côtes ou au large, ce qui en fait la terreur des marins : "Il y a beaucoup de paquebots et de navires qui ont été coulés par ces grosses vagues. C'est une énergie colossale. Maintenant, on fait des bateaux à double coque pour éviter effectivement ces naufrages."
La pression peut être dix fois plus élevée que celle d'autres vagues de la même hauteur. Et les marins ont eu beau les mentionner depuis un bail dans leurs récits, il a fallu attendre 1995 seulement pour documenter scientifiquement le phénomène avec la vague dite "du Nouvel An". C'était en mer du Nord, la vague a pu être mesurée quand elle a frappé une plateforme pétrolière : presque 26 mètres - quand la hauteur significative des vagues alentour était à 12 mètres. Donc là, ça faisait un petit peu plus de deux fois plus haute. C'est à partir de là que les chercheurs ont commencé à comprendre les mécanismes de ces vagues scélérates.
Plusieurs mécanismes poussent ces vagues à surgir
- les interactions avec les courants océaniques.
"Quand vous avez des vagues qui sont générées par le vent et contre un courant, la vague va être empêchée de se propager et sa hauteur va augmenter. Et vous allez voir formation d'une grosse vague qui va déferler".
- la focalisation géométrique
"On peut avoir des traînes de houle qui viennent de directions différentes et qui vont interagir dans une zone relativement restreinte de l'océan et former cette grosse vague"
- la focalisation spatio-temporelle
"Imaginez par exemple que vous avez un vent qui va générer des vagues relativement courtes et ensuite, le vent va forcir : il va générer des vagues qui vont être plus longues, qui vont se propager plus vite. Elles vont rattraper des vagues plus courtes et vous pouvez avoir une accumulation, un "empilement" de vagues en un point donné de l'océan"
Et le tout, je le rappelle, en quelques secondes.
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Des vagues impossibles à prévoir
"C'est la difficulté… et c'est la différence, par exemple, avec un tsunami ou avec des vagues immenses sur des sites connus - je pense à celles de Nazaré au Portugal (chaque année, on voit les images des surfeurs sur ces monstres. Là, c'est en raison de la configuration du lieu : en l'occurrence, à Nazaré, il y a un canyon sous marin).
Ces vagues scélérates peuvent elles être plus fréquentes à cause du dérèglement climatique ?
Christian Kharif est catégorique : "Oui. Il y a de plus en plus de phénomènes extrêmes et donc il y aura certainement de plus en plus de vagues extrêmes qui se souderont dans l'océan".
Il y a donc plus qu'à espérer que ça ne nous tombe pas dessus. Des personnes ont déjà été emportées, par exemple à Taïwan, à terre, en se baladant en bord de mer… D'où l'importance de continuer à comprendre ces vagues scélérates pour essayer un jour, peut-être, de les anticiper. Mais ce n'est pas encore gagné.
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