"La France ne pèse qu’1% des gaz à effet de serre" : pourquoi c’est "un argument à la con"

Camille passe au vert
Camille passe au vert ©Getty - Constantine Johnny
Camille passe au vert ©Getty - Constantine Johnny
Camille passe au vert ©Getty - Constantine Johnny
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Vous avez certainement déjà entendu ces gens qui disent que la France n'émet que 1% des gaz à effet de serre dans le monde et que ce n'est donc pas à elle d'agir en priorité. Argument politique parfois, ou de bonne foi pour d'autres. Mais dans tous les cas, ça ne tient pas. Explications.

Depuis un moment, une petite musique revient régulièrement pour relativiser le rôle de la France dans la lutte contre le dérèglement climatique : celui qui dit que nous ne représentons que 1% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, et donc que ce n’est pas à nous de faire des efforts. Argument brandi largement par l’ extrême droite , exemple avec le sénateur Stéphane Ravier :

“Je rappelle que la France n’est responsable que de 1% des émissions à l’origine du réchauffement climatique, je vous invite donc à vous dépolluer l’esprit des prêches des talibans verdoyants et à tirer les enseignements de vos erreurs, plutôt que d’en faire supporter les conséquences aux français."

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Tout en nuance. Brandi aussi sur des plateaux télé comme BFM Business, avec des bonhommes qui ont tout compris à la vie… Mais aussi, et là c’était pas plus tard que mercredi dernier, dans l’une des émissions les plus suivies, Quotidien :

“Sur les pays émetteurs de gaz à effet de serre, nous c’est près de 1%, l’Europe c’est 7%, la Chine et l’Inde c’est plus de 30%, donc je me dis c’est idiot…”

Alors oui c’est idiot, mais il n’est jamais trop tard pour comprendre pourquoi c’est un argument complètement con , et qui fait réagir les scientifiques comme ça :

“Les gens qui disent ça il n’ont rien compris”, “C'est à vomir, d’un point de vue scientifique c’est écoeurant”, “Pffff...”

Trois auteurs du GIEC, la docteure en énergétique Yamina Saheb , de Sciences Po, le spécialiste en adaptation Alexandre Magnan de l’Iddri, et l’économiste du climat Céline Guivarch , de l’école des Ponts. Exaspérés, d’abord parce que ce genre de discours est stérile :

“Jouer le jeu de qui est responsable de quoi et qui doit faire l’effort, on se croirait dans une cours d’école. Je comprends bien l’argument mais on n’est pas dans une démarche quantitative pure, on est dans une démarche de société, et si chacun n’essaie pas d’y contribuer, c’est le chaos.”

Donc si tout le monde attend que les autres agissent, rien ne va se passer :

“C’est un discours que l’on appelle du délais, qui ne remet pas en cause le fait qu’il y ait un changement climatique d’origine humaine, mais qui, de façon consciente ou inconsciente, cherche à justifier l’inaction.”

Un peu comme quand on attend que les autres se mettent au sport pour bouger ses fesses, hyper efficace. En plus, plein de pays dans le monde sont aussi à 1%, et représentent 37% des émissions de gaz à effet de serre, 2ème position mis ensemble . Donc génial si tout le monde se dit la même chose. En plus, Céline Guivarch rappelle une donnée importante, c’est que rapportée à la population, notre empreinte est beaucoup plus importante que la moyenne mondiale de 4,4 tonnes par an et par habitant :

“Ça fait à peu près 6.2 ou 3 tonnes de CO2 équivalent par an et par habitant, et par ailleurs, si on compte aussi les émissions qui ont lieu ailleurs pour produire des biens qu’on importe et qu’on consomme en France, il faut rajouter 50%, donc on est plutôt autour de 9 tonnes de CO2 équivalent par an et par habitant.”

9 tonnes pour un français, soit plus du double de la moyenne mondiale . Et sur le chiffre même des émissions, Yamina Saheb enfonce le clou :

“Ce qui conduit à l’augmentation des températures, ce ne sont pas juste les émissions d’aujourd’hui, mais ce sont les émissions cumulées, et lorsqu’on considère les émissions cumulées, la France fait partie des 20 grands pollueurs au monde !”

Elle est même 8ème , quand les Etats-Unis sont largement largement en tête. Et c’est là que certains diront « oui mais alors pourquoi on devrait arrêter de voyager, de prendre l’avion, la voiture, arrêter de faire les magasins, de manger de la viande, quand les américains, eux, ils polluent à fond ? » Réponse d’Alexandre Magnan :

“Bien sûr qu’à l’échelle globale, il y a certains pays qui vont devoir évidemment plus contribuer. L’enjeu de fond c’est que tout le monde fasse le maximum d’efforts possibles, parce que si on répartit juste le gâteau en fonction de sa responsabilité, tout le monde va être dans la panade. C’est irresponsable de réfléchir comme ça.”

Parce qu’il y a des risques, les effets en cascade, les décisions des uns se répercutent sur les autres, en sachant qu’en France aussi on subit déjà largement les effets du changement climatique et ce n’est que le début...

“Le risque de ce genre d’argument, c’est de réduire encore plus le niveau d’ambitions qui n’est déjà pas bon, ça c’est le risque politique. Mais le risque réel, c’est de contribuer encore plus, d’alourdir encore notre dette écologique, et d’avoir encore plus d’impacts du changement climatique. C’est la fin de la vie sur Terre : le changement climatique c’est ça, c’est la mort.”

La France par ailleurs a un poids diplomatique , un poids en Europe qui pèse lourd dans les émissions, un poids symbolique en ayant porté l’Accord de Paris, elle se doit donc d’être exemplaire et moteur. Céline Guivarch conclue:

“Arrêtons de nous trouver des prétextes”

D’autres scientifiques le disent, Valérie Masson Delmotte en particulier. Elle a fait tout un fil Twitter sur le sujet et glisse également de tourner les choses en dérision. Après tout, avoir même pas 1% de chance de gagner au Loto mais plutôt 0,000001% n'empêche pas les gens d'y jouer. Ils y croient. Souvenez-vous du slogan. Ces 1%, donc, ne doivent pas nous empêcher de se bouger, à tous les niveaux, bien au contraire.

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