

Il suffit de regarder les spots de l'Office du tourisme norvégien, avec ces images de forêts immenses, de fjord vertigineux, de cascades, d'aurores boréales, de vol d'oiseau pour prendre une grande bouffée d'air frais, c'est franchement canon et ça donne envie.
La Norvège, qui, en plus, devenait hier le pays au monde le mieux équipé en voiture électrique (54,3 % des ventes en 2020), sans parler de l'énergie hydraulique qui alimente presque tout là-bas. Un vrai paradis écologique.
La Norvège, incarnation du "green washing"
Ou pas ? Car la Norvège est une véritable incarnation, en pays, de ce qu'on appelle "le green washing". Très belle vitrine qui cache de sombres pratiques dans l'arrière-cuisine. La plus haute juridiction norvégienne, la Cour suprême, vient de le montrer, de l'incarner elle aussi, en validant par onze voix contre quatre l'extension de forages pétroliers en Arctique, déboutant deux ONG qui réclamaient l'interdiction de dix permis délivrés pour exploiter les puits en mer de Barents. Greenpeace Norvège est dans le lot, dirigé par Frode Pleym.
"On est très triste, en colère et déçu. Chercher davantage de pétrole. C'est insensé. L'Arctique est un environnement marin extrêmement fragile et ces forages ont des conséquences catastrophiques. Mais bien sûr, on se doutait de la décision, parce que l'État norvégien est très puissant."
Et c'est lui, l'Etat norvégien, qui est propriétaire de la principale compagnie pétrolière. Hors de question, donc, de s'en passer, explique le chercheur en géopolitique de l'environnement à l'Université de Liège, François Gemenne.
"L'économie norvégienne dépend largement de l'exploitation des ressources naturelles. La Norvège exporte 1,3 million de barils de pétrole par jour. C'est ça qui lui permet aujourd'hui d'être un des pays les plus riches du monde."
Les exportations d'hydrocarbures, c'est quand même 17% du PIB norvégien.
Toute la difficulté pour les pays qui possèdent d'importantes réserves de pétrole, de gaz ou de charbon, c'est de les laisser sous terre et donc de se priver de la manne économique qu'il représente. Si vous aviez un trésor au fond de votre jardin et qu'on vous disait "vous ne pouvez pas toucher à ce trésor parce que si vous touchez à ce trésor, vous allez envoyer le climat dans le mur", la question c'est "est-ce que vous accepteriez de laisser ce trésor au fond de votre jardin ou est-ce que vous iriez le déterrer ?".
Mais ce qui agace Greenpeace et beaucoup d'autres, c'est le double discours de la Norvège
Frode Pleym : "C'est tellement hypocrite. Tout le monde en Norvège aime se dire qu'on est les meilleurs en tout. Y compris pour l'environnement. On n'aime pas envisager qu'en fait, on pourrait faire partie du problème."
D'ailleurs, l'ONU classe la Norvège dans les 15 pays les plus vertueux au monde en matière d'écologie. Mais en se basant sur ce qui est fait "en interne". Parce que si on fait le calcul en tenant compte des exportations de pétrole, ça dégringole à la 128e place.
François Gemenne : "Si on prend les émissions de gaz à effet de serre par habitant en Norvège, la Norvège émet quasiment 8 tonnes par habitant. La France par comparaison n'en émet que 5 tonnes par habitant."
Et finalement, ce titre de champion du monde de la voiture électrique illustre bien la situation. Si les Norvégiens en achètent autant des voitures électriques, c'est parce que l'Etat riche les y incite en supprimant toutes les taxes. L'Etat a les moyens. Et parce qu'ils peuvent aussi les habitants se les payer, ces voitures très chères. Un objet vertueux sur le papier, mais financé par le pétrole. Vous voyez le paradoxe.
En attendant, les plateformes géantes continue d'explorer les gisements
En fonctionnant pour certaines avec de l'hydro-électricité. On n'est pas à une contradiction près. Les ONG ne comptent pas lâcher l'affaire. Elles envisagent de saisir la Cour européenne des Droits de l'Homme pour faire valoir le droit à un environnement sain. C'est écrit dans l'article 112 de la Constitution norvégienne. Elles comptent aussi faire pression sur les politiques avant les législatives l'an prochain, avec l'appui des électeurs.
Frode Pleym : "L'opinion publique a pris un virage depuis un an sur ces sujets. Donc oui, nous gagnerons la bataille au bout du compte."
D'autant que la Norvège, dit Frode Pleym, pourrait utiliser son savoir-faire et son expertise dans les hydrocarbures pour les énergies renouvelables et devenir un leader. Et là, franchement, ce serait vraiment un coup de maître en matière de recyclage.
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