

Quitter l'administration publique pour une entreprise représente souvent une augmentation considérable de salaire. Complément d’enquête, sur France 2, consacre une enquête très accessible et bien ficelée à cette pratique du pantouflage : "Grands flics, énarques : quand nos élites se font débaucher".
Il est question de pantoufle, ce matin. Non, je ne suis pas venue en chaussons, malgré l’horaire matinal. Je vous conseille une enquête sur les hauts fonctionnaires qui quittent le service public pour le privé, avec à la clé une augmentation considérable de salaire : on appelle cela le pantouflage. France 2 y consacre une enquête, très accessible et bien ficelée, ce jeudi 3 juin dans l'émission "Complément d'enquête". Son titre : "Grands flics, énarques : quand nos élites se font débaucher".
La crainte des conflits d'intérêts et du favoritisme
Il faut d’abord prendre la mesure du phénomène : 45% des dirigeants français du CAC 40 viennent de la fonction publique. On peut s’en inquiéter, craindre les conflits d’intérêts et le favoritisme, notamment dans le cadre d’appels d’offres. On peut, à l’inverse, considérer que cette perméabilité entre public et privé est saine. Une chose est sûre : le pantouflage est encadré. Il y a des règles précises concernant le départ des fonctionnaires vers le secteur privé. Et notamment dans la police. Énormément de hauts gradés rejoignent la sécurité privée. Choisir un policier pour diriger leur sûreté est devenu un réflexe dans les grandes entreprises. La journaliste Pauline Lieta a obtenu le témoignage anonyme du patron d’une grande entreprise de sécurité :
Ce qu'on attend de lui, c'est d'utiliser les réseaux acquis pendant ses fonctions dans la police. Cela peut aller de faire sauter des PV à des activités de renseignement. Passer au crible un collaborateur, par exemple. Un policier qui respecte les règles n'aurait pas de plus-value pour l'entreprise...
Les policiers qui rejoignent le privé ne doivent avoir aucune relation professionnelle avec leurs anciens collègues pendant trois ans. Mais certains semblent avoir une lecture très personnelle de cette règle.
Quels contrôles ?
Les différences de salaire entre public et privé sont au cœur du sujet. Notamment pour les diplômés de l’ENA, qui se sont engagés à travailler dix ans au service de l’Etat. S’ils partent avant les dix ans, ils doivent rembourser une partie de leurs salaires, c’est ce qu’on appelle "payer sa pantoufle". Mais cela est loin de freiner les ardeurs des grandes entreprises qui veulent débaucher des hauts fonctionnaires. Voici le témoignage d’un énarque, dont la voix est modifiée (le sujet est tabou).
Il y a un dirigeant qui me contacte et me dit "je peux tripler votre rému". Je lui ai répondu : vous ne connaissez même pas ma rémunération ! (...) Le poste que j'occupe aujourd'hui, on ne me l'aurait pas proposé si je n'avais pas fait l'ENA. J'ai la faiblesse de croire que j'ai bien servi l'Etat, mais je suis parti... Pour l'Etat, je ne suis pas sûr d'avoir été un bon investissement.
La suppression décidée de l'ENA ne changera rien, en la matière. La question des écarts de rémunération peut se discuter, mais l’État aura-t-il jamais les moyens de s’aligner sur les grands groupes du secteur privé ? Cette enquête étayée et concrète prouve que les réformes bancaires, qu’avait promises notamment François Hollande en son temps, ont été empêchées par les liens tenaces entre la finance et la haute administration. La question qui se pose, surtout, est celle du contrôle. Certains témoignages, dans ce reportage, sont accablants quant à la légèreté de ces contrôles en cas de pantouflage. C’est désormais la Haute Autorité de Transparence de la vie publique qui a cette responsabilité. La question est posée : l'Etat se donne-t-il vraiment les moyens de contrôler ses anciens agents ?
"Grands flics, énarques : quand nos élites se font débaucher" : à voir sur France 2 jeudi 3 juin à 22h55, dans Complément d’Enquête, émission présentée par Jacques Cardoze (ou à voir en replay, vu l’horaire).
L'équipe
- Production
- Autre