Le film d’Abderrahmane Sissako, sorti en 2014, nous plonge dans un Mali aux prises avec les djihadistes. Une fable humaniste, d'une beauté sidérante, qui dénonce l'absurdité du combat des fous de Dieu.
Ce film a décroché une pluie de prix à sa sortie en 2014, notamment sept Césars et un Oscar, mais rien à Cannes. Alors qu'il aurait pu (que dis-je, qu'il aurait dû) être la première palme d'or africaine de l'histoire. « Timbuktu », du Mauritanien Abderrahmane Sissako est diffusé ce mardi soir sur France Ô. C’est l’occasion, pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, de rattraper cet impardonnable raté !
Plongée dans la vie quotidienne d’un village malien, qui est tombé aux mains des djihadistes. Jour après jour, des hommes lourdement armés patrouillent, en moto ou en 4x4, dans les rues ensablées du village avec un mégaphone : ils rappellent que les femmes ne doivent pas sortir sans voile et sans gant, que la musique est interdite, tout comme les cigarettes.
Beauté inoubliable
L’image, surtout, est d’une beauté inoubliable, d’une poésie qui marque la rétine. Deux scènes, en particulier, sont gravées dans ma mémoire. La première avec la comédienne et chanteuse Fatoumata Diawara. Allongée sur un canapé, entourée de quelques amis qui claquent des doigts et jouent de la musique, cette femme se met à chanter. Et peu à peu, alors qu’elle semblait écrasée, elle redresse la tête. Cette mélodie risque de la conduire à la mort, mais elle chante. Et plus elle donne de la voix, plus elle semble reprendre vie.
Autre scène : encore un acte de résistance. Là encore, pas de dialogue, juste de la musique. Ce sont des gamins qui jouent au football. Une partie de foot endiablée, comme on en voit dans les stades et les terrains vagues du monde entier. Seul détail : il n’y a pas de ballon. Parce que les ballons sont interdits. Ces enfants ne ménagent pas leurs efforts : on court, on se tacle, on marque, on hurle à l’erreur d’arbitrage. Grosse tension pendant la séance de tirs au but.
Puissance de l'imaginaire
Cette scène est absolument magique. On pense au repas de Peter Pan et des enfants perdus : il n’y a rien sur la table, mais tout le monde s’empiffre et c’est un festin hors du commun. Ce qui est frappant, dans ce match sans ballon, c’est que les enfants jouent vraiment, ils s’amusent vraiment, ils ne font pas semblant ! Et on rit lorsqu’ils s’interrompent le temps de laisser passer un âne qui traverse leur terrain.
Il y a quelque chose de l’humanité qui se dit là. Quelque chose sur la puissance de l’imaginaire. Une façon de proclamer : interdisez tout ce que vous voudrez, vous ne pourrez pas toucher à la beauté de l’imagination. On peut y voir, aussi, un propos sur le cinéma. Parce que « Timbuktu », pour des raisons de sécurité, n’a pas été tourné au Mali mais en Mauritanie, sous protection de l’armée. Un film réalisé dans des conditions compliquées... et qui pourrait sembler un peu vain : à quoi bon faire du cinéma face à la barbarie ? Sissako montre ici, avec brio, que l’imagination – et donc la création - est une liberté inaliénable, absolue. Toute la force de ce film aux allures de fable, c’est de montrer la violence des bourreaux, mais surtout l’absurdité et le grotesque de leur combat.
« Timbuktu », mardi 14 mai à 20h55 sur France Ô.
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