Mais au fait qu’est-ce qu’on attend du cinéma ? Qu’est-ce qu’on attend d’un film le soir devant sa télé ou dans une salle obscure ? On n’en attend pas toujours quelque chose de spécial… Parfois on s’installe, et tout simplement… on attend de voir ! Le plus souvent peut-être, si on attend quelque chose d’un film, c’est qu’il nous procure un moment de distraction, un pur divertissement. Mais chacun de nous est un vieux cinévore - pardon pour ce mot qui n’existe pas - un vieux cinévore donc qui a avalé des dizaines et des dizaines de films… Et en vieux cinévores que nous sommes, nous savons tous d’expérience qu’un film peut avoir une multitude d’autres effets et fonctions que de nous divertir : un film peut nous faire réfléchir, nous émouvoir, nous faire peur, nous rendre perplexes, songeurs ou nostalgiques, nous énerver profondément, nous angoisser, nous rendre heureux bien sûr, nous donner envie soudain de nous envoler par la fenêtre ou de sortir hurler dans la rue… et il y a des films qui nous font un peu tout cela à la fois, ou tout au moins qui ont l’art de nous faire passer par plusieurs états, le rire et les larmes, l’exaltation et la méditation, etc…
Parmi toutes ces fonctions du cinéma, il y en a une qu’on évoque souvent : sa capacité à refléter la société, c’est-à-dire à être le miroir de notre vivre ensemble… Ce cinéma qu’on appelle réaliste ou naturaliste est intéressant, important même – il a une fonction sociale - parce qu’il capte l’atmosphère d’une époque, et nous rend ainsi plus lucides, plus conscients de ce que nous vivons.
Mais on peut quand même se demander si le rapport entre le cinéma et la société, le cinéma et la vie, se résume à cela. Si le cinéma en particulier, et la fiction en général, ne peuvent pas, ne doivent pas, faire aussi et surtout autre chose que de montrer seulement la vie et la société telles qu’elles sont ? Le cinéma ne doit-il pas avoir une ambition infiniment plus élevée que d’être le miroir de la société, le miroir de nos vies ? Aujourd’hui cette question est particulièrement importante. Pourquoi ? Parce que nous vivons dans un monde qui est non seulement en crise, mais un monde et une société moroses, tristes, profondément désenchantés et désabusés, désillusionnés… Combien d’entre nous ne croient plus en rien, ni au vivre ensemble, ni en la politique, ni en l’avenir de la planète ? Notre vivre ensemble est plombé par le recul terrible de toutes les grandes espérances collectives d’autrefois, et les nouvelles raisons d’espérer en l’avenir et d’avoir confiance en l’humanité se font attendre… A toutes les échelles, ça va mal : la nature est polluée, le libéralisme fait des ravages, la démocratie patauge dans le mensonge, les jeunes ne trouvent pas de boulot, etc. C’est dans ce contexte qu’on doit encore plus s’interroger aujourd’hui sur ce que nous pouvons attendre ou espérer du cinéma. Doit-il se contenter de montrer ce monde tel qu’il est, de façon réaliste, et donc nous ramener encore et toujours à tout ce qui va mal, à tout ce qui dysfonctionne dans nos sociétés ? Doit-il donc se limiter à cette fonction critique, à ce regard critique ? Ou bien peut-il et doit-il faire quelque chose de plus pour notre vivre ensemble ? En l’occurrence, ne doit-il pas être capable de créer des raisons d’espérer, de créer des personnages qui sont plus forts que la crise, plus grands que ce qui les accable, des personnages qui ne laissent pas faire, qui ne se laissent pas abattre, et qui ce faisant nous communiquent la force, l’espérance, l’enthousiasme et la foi en notre capacité de changer le monde ? Avons-nous ce cinéma là ? Avons-nous un cinéma plus fort que la crise ou bien un cinéma qui lui aussi subit la crise profonde de notre société – crise du manque d’espérance, de confiance, de force ? C’est la question dont nous allons discuter aujourd’hui avec mon invité du jour, le critique de cinéma Stéphane Delorme – qui pose une question dans son dernier article pour les Cahiers du cinéma : « L’époque est triste et cynique, l’art devrait-il l’être aussi ? » - ou bien, c’est moi qui rajoute - faut-il désirer un cinéma qui nous exalte et qui, peut-être, ré-enchante la vie !
La rubrique "concordance des temps" d'Abdennour Bidar :
La vie est belle de Franck Capra, en DVD chez Liberty films.

L'interview d'Agathe Maire :
Yann Gonzalez , réalisateur de Je vous hais petites filles (2008) et de Nous ne serons plus jamais seuls (2012).
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Réalisation
- Chronique