Chloé, épisode deux, Chloé au bordel

"je n’avais pas la force de me satisfaire d’un Smic, tu prends goût à l’argent"
"je n’avais pas la force de me satisfaire d’un Smic, tu prends goût à l’argent" ©Getty - picture alliance
"je n’avais pas la force de me satisfaire d’un Smic, tu prends goût à l’argent" ©Getty - picture alliance
"je n’avais pas la force de me satisfaire d’un Smic, tu prends goût à l’argent" ©Getty - picture alliance
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La semaine dernière, on était chez Chloé, ancienne travailleuse du sexe. Chloé revient aujourd’hui en Belgique, tout près du bordel où elle a bossé, elle partage avec nous les souvenirs de cette époque de sa vie.

J’ai travaillé dans ce bordel pendant quatre ans, à la fin il n’y avait plus que l’argent qui m’intéressait… tu rentres dans ce milieu sans argent, tu en sors sans argent.

Souvenirs du Bordel

Revenir aux abords de ce lieu met Chloé dans un état étrange. C’est là, dans la chambre rose aux rideaux rouges qu’elle a travaillé pendant quatre ans. Cette petite chambre ne disposait pas de douche, c’était une chambre pour le vite fait… Cinq ans après son départ, Chloé se souvient de son premier jour, la visite des lieux, les consignes de la patronne, le regard hostile des filles qui la jaugeaient. Et puis le rapport avec les clients.

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"Je n’avais jamais spécialement bu avant, on m’a poussé dans mes limites, je buvais et je ne faisais que vomir." 

J’ai vu de tout, toutes les classes sociales défilaient. C’était 80 euros la demi-heure, 150 les deux heures…. Il y avait aussi le show lesbien et les extras... Le but était de fidéliser les clients, il fallait les intéresser et même les rendre amoureux au fil du temps, ce qui marchait. J’ai eu des clients parfois aisés, il y a même eu un député, mais on n’est pas dans Pretty woman. Il y a des clients très généreux, mais cela ne dure jamais dans le temps.

Entre filles

Je suis arrivée avec des convictions en me disant on a abusé de moi, je vais reprendre le contrôle. C’était limite ma deuxième famille, ma patronne m’appelait ma fille.

Dans le récit de Chloé, il y a le rapport aux clients qui sont les hommes, mais il y a surtout la relation aux filles avec qui elle travaillait. Ces filles avec qui elles discutaient de banalité et parfois de choses intimes. Ces femmes entre alliées et concurrentes, amies et amantes. On découvre aussi qu' il y a une éducation à l'alcool qui se fait de femme en femme.

Je ne me cache plus. Les temps ont changé, nous nous sommes révoltées. Il a fallu, à la face du monde, que des milliers de femmes sortent de la nuit et parlent, écrivent, se rassemblent, sous des masques parfois mais aussi à visage découvert, et crient leur vérité, leur vie. On les a écoutées, muselées, contestées. On a voulu les faire taire, mais leur voix a été la plus forte. Il a fallu qu’on les voie, qu’on sache qu’elles existent, qu’elles ne soient plus écrasées comme des cafards dans l’ombre. GRISÉLIDIS RÉAL 

Le coup de foudre 

Un jour Chloé remarque une fille dans un restau du coin. Pas de sourire, pas de mots, mais un jeu de regards s’installe. Elle est frappée par la présence d’Élie. Son ami l’encourage à aller simplement lui parler. Ça fonctionne. Chloé et Élie s’échangent les numéros. C’est le début d’une histoire. 

Longtemps, les mots « gouine », « féministe », « prostitué » m’ont fait peur. Longtemps, j’ai senti l’empêchement, mon propre empêchement et celui des autres.

Empêcher de dire mais aussi d’écouter, de recevoir, de comprendre, pour repenser et déconstruire. 

J’ai voulu entendre à la radio, voir à la télé des personnes qui pouvaient représenter la France, le monde d’aujourd’hui, tel que je pouvais le voir à ma fenêtre. 

J’attendais et j’espérais entendre des femmes prendre la parole de manière libre, décomplexé et nuancé. 

Longtemps, j’ai réduit la prostitution à un non-choix, à une contrainte, à une obligation. 

Je n’arrivais pas à me défaire de ce que la société m’avait demandé de penser, de croire. 

Les lectures, les rencontres nous bousculent nous transforme. Nous ouvrent, nous politisent. 

Le parcours de Chloé a encouragé ma démarche. 

Il ne s’agit pas d’enjoliver quoi que ce soit, ni même de remettre une couche de misérabilisme sur le travail du sexe mais plutôt sortir du silence, dire, être au plus près de l’expérience.

La suite à écouter

La programmation musicale :

Aller plus loin 

📖 LIRE : La petite dernière, Fatima Daas, Edition Noir sur blanc

📖 LIRE : King Kong théorie, Virginie Despentes, Ed. Grasset

📖 LIRE :  Carnet de bal d'une courtisane, Paris, Verticales, 2005 de Grisélidis Réal

🎧 ECOUTER : Le choix musical de Chloé : Lala &ce : S_ous tes lèvres_