

Deux fois par semaines, au tribunal de proximité de Boulogne-Billancourt se tiennent les auditions des tutelles. Des audiences à huis-clos auxquelles France Inter a pu assister.
L'audience a lieu deux matinées par semaine, dans un pièce du rez-de-chaussée du tribunal. Une grande table ovale, séparée d'un mur de plexiglas, Covid-19 oblige. C'est là que l'on traite des histoires de tutelle, ces personnes qui ne peuvent plus se gérer seules et qui doivent être représentés par un tiers : un membre de la famille ou, à défaut, un professionnel.
"Vous allez mieux, vous pouvez exprimer votre volonté"
Ce matin là, c'est un jeune homme qui ouvre le bal des audiences. Johann, la trentaine, et un look d'adolescent, arrive en fauteuil roulant. Cela fait huit ans qu'il ne peut plus parler, à peine bouger, après un accident de la route qui l'a laissé tétraplégique.
S'il est devant la juge c'est parce que depuis l'accident Johann a fait beaucoup de progrès. Maintenant il peut hocher la tête et même s'exprimer grâce à un petit abécédaire : une feuille de papier avec des lettres qu'il arrive à désigner avec sa main gauche pour épeler chaque mot. À coté de lui, son aide médicale traduit, parfois un peu à côté, et ça amuse beaucoup Johann qui éclate de rire. Un rire rauque, guttural, qui fait sursauter tout le monde dans la salle.
La juge, dans un sourire, reprend alors la parole : "Vous êtes sous tutelle mais vous n'en avez plus besoin aujourd'hui, vous allez mieux vous pouvez exprimer votre volonté", explique la juge. Derrière son masque, le jeune homme rougit , un peu flatté. La juge poursuit : "C'est fantastique, c'est très rare que les choses se passent dans ce sens-là". Derrière les masques les visages sont satisfaits. Le jeune homme alors éclate de rire à nouveau, mais cette fois personne ne sursaute autour du bureau.
"Je suis une fille dévouée"
L'histoire de Johann finit bien, mais c'est souvent des drames qui se jouent dans le bureau de la juge des tutelles. Des drames familiaux surtout comme ce frère et cette sœur, la cinquantaine, bien apprêtés : costume sombre pour lui, robe et petite veste pour elle.
Sans un regard, ils s'assoient chacun à un bout de la table, séparés par leurs avocates. "On est là pour désigner le tuteur de votre mère", explique la juge. La mère en question a 86 ans, un Alzheimer très avancé, et un besoin urgent d'être protégée.
L'avocate du fils prend d'abord la parole : "Mon client a l'impression que sa sœur veut jouer à la fille parfaite mais elle paye ses factures d'avocat avec l'argent de sa mère!". De l'autre coté de la table, la sœur en question fulmine, elle marmonne sans cesse, commente chaque mot de son frère. Elle griffonne aussi sans arrêt des mots à son avocate sur un coin de papier.
"Que ce soit clair, s'agace la juge, je ne suis pas là pour compter les points et pour savoir qui est le meilleur enfant". C'est pourtant clairement ça qui se joue d'un bout et l'autre de la table.
"Je suis une fille dévouée, poursuit la sœur. J'habite depuis 27 ans à moins d'1 kilomètre de mes parents, je suis tout le temps disponible, j'ai une relation fusionnelle avec ma mère". Le frère, silencieux jusque-là, s'emporte alors : "C'est faux, dit il d'une voix tremblante de colère. Il y a toujours eu des conflits entre ma sœur et ma mère, une fois les voisins ont même appelé la police". Sa sœur baisse la tête au bord des larmes. La juge alors tente de reprendre les choses en main. "Je vois beaucoup de souffrance derrière tout ça, mais il faut dépassionner les choses. Je ne peux désigner aucun de vous comme tuteur__, ça va forcément mal se passer", tranche la juge. Ce sera donc probablement un tuteur professionnel, un mandataire judiciaire, qui sera désigné.
À chaque bout de la table, le frère et la sœur accusent le coup. Aucun des deux, ne gagnera cette fois.
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