

La 26e Chambre du tribunal de grande instance de Paris est consacrée au Droit pénal de la famille. Les prévenus sont des mères et des pères qui n'ont pas versé la pension, sont soupçonnés d'avoir frappé leur enfant ou ne l'ont pas amené chez l'autre parent. On y entend les adultes, mais on y parle surtout des enfants.
- Ariane Griessel Journaliste
D'un point de vue judiciaire, la 26ème Chambre du tribunal de grande instance de Paris est consacrée au Droit pénal de la famille. Mais elle est aussi la chambre des histoires de cœur qui ont mal fini, celle où se jouent amour parental et amours déçus. Celle où comparaissent des mères et des pères, où les enfants ne sont pas toujours là physiquement, mais très présents dans les débats. Celle où la justice est rendue au nom d'un peuple en devenir, celui des petits garçons et petites filles parfois confrontés aux conflits des adultes.
"Il ne s'intéresse pas à son fils"
Première affaire : une mère réclame 10 000 euros de préjudice moral à un ancien footballeur professionnel. Il a tardé à payer la pension alimentaire pour leur fils, Romain, âgé aujourd'hui de 13 ans. L'enfant a été malade d'un cancer, sa mère a dû arrêter de travailler pour s'occuper de lui. L'avocate de la maman explique : "Il ne s'intéresse pas à son fils, ne l'a pas rencontré depuis 2010. Cette pension, c'est le seul lien qu'il reste avec son fils. Et il ne veut pas s'en acquitter".
L'homme, lui, est absent. Il a reconnu l'enfant à la naissance, mais aujourd'hui, n'a plus de revenu, selon son avocate. "On parle d'être et d'avoir été", plaide-elle. "Il a été un joueur exceptionnel, est beaucoup sorti en boîte de nuit, y a rencontré Mademoiselle, et un beau jour, il s'est retrouvé devant un tribunal, on lui a demandé de reconnaître cet enfant. C'est un enfant qui a été fait plus ou moins dans le dos de mon client". Voulu ou non, le petit garçon existe. Son père est condamné à deux mois de prison avec sursis.
"Pour moi, maman, c'est un lion sauvage"
Il y a aussi les parents qui n'ont pas voulu de leurs enfants et les enfants qui ne veulent plus de leurs parents. À l'image de Ryan, 10 ans, dont la mère comparaît parce que soupçonnée de violences sur son fils. Il a des cicatrices un peu partout. Elle reconnaît l'avoir griffé au visage avec ses bagues, en 2015. Un "accident", selon elle, alors que le petit l'agrippait par derrière.
Le président l'écoute patiemment, attentivement, vérifie qu'elle comprend les termes juridiques. Précise qu'elle est là pour qu'il puisse entendre ses explications avant de juger. L'interroge : "Le légiste constate des traces qui peuvent correspondre à des coups de câbles...", "Il se bat à l'école", répond la mère, la voix entrecoupée de sanglots. Et ajoute : "J'aime mon enfant".
"Ce qui vous est reproché, ce n'est pas de ne pas aimer Ryan, c'est de l'avoir violenté" répond le président, la voix douce. La prévenue dénonce une manœuvre de son ex-conjoint pour monter le petit contre sa mère. L'enfant, lui, n'a pas voulu venir. Il est placé, à la campagne, dans une ferme, avec des animaux, et y est bien, selon l'administrateur. Ce dernier raconte : "Quand on lui dit qu'il manque à sa mère, il répond froidement : C'est impossible. Pour moi, maman, c'est un lion. Un lion sauvage". Elle est condamnée à 15 mois de prison avec sursis.
" 'Elle' avait cette angoisse ou 'vous' aviez cette angoisse ?"
Et puis, il y a les enfants qui vivent au plus près les conflits d'adultes, comme Elodie, 11 ans. Sa mère est jugée pour ne pas l'avoir amenée à son père comme convenu. Il y a quelques temps, l'enfant a accusé son papa de gestes inappropriés. Une affaire classée sans suite, mais, pendant un temps, tous les deux se voient dans un centre dédié. Puis, en décembre, vient le moment du retour chez son père. La mère raconte : "Elle vomissait, avait de la fièvre, faisait des cauchemars. J'ai décidé de ne pas l'emmener. Elle avait cette angoisse..." "'Elle' avait cette angoisse, ou 'vous' aviez cette angoisse ?" demande, calmement, le président.
Le père est là, les parents ne se regardent pas. La détestation est palpable. L'avocate du papa accable la mère : "Elle ne pense pas à Elodie, qu'on la laisse tranquille et en paix, cette enfant". La mère est condamnée à un mois de prison avec sursis. Elodie, elle, ne sera pas en paix tout de suite : l'avocate veut maintenant demander que l'enfant vive chez son père.
La petite, elle, n'est pas là. On se dit : "heureusement", heureusement qu'elle n'a pas à voir ses parents se haïr au nom du fait qu'ils l'aiment. On se dit, aussi, qu'il y a des moments où il fait bon ne plus être un enfant. De ne plus avoir à être sous la responsabilité des "grands".