
Il est somalien, a été accusé d'avoir piraté un navire français, le Carré d'As en 2008, a été reconnu innocent. et il est dans le prétoire ce matin. Il s'appelle Abdulahi Ahmed Guelleh.
On s'intéresse à lui au lendemain du verdict dans une autre affaire de piraterie somalienne, celle du Ponant, parce qu'entre ses 3 ans et 3 mois passés en prison et ses 6 mois dehors, il y a toujours autour de lui un parfum d'absurde et d'isolement.
Un parfum d'absurde qu'illustre un exemple tout simple. Alors qu'il était en détention, Abdulahi Ahmed Guelleh avait le droit de travailler ; depuis qu'il a été reconnu innocent et qu'il est sorti de prison, il n'a plus le droit de travailler.
Abdulahi a été arrêté avec cinq autres Somaliens le 16 septembre 2008, accusé d'être un pirate, responsable du détournement du voilier le Carré d'As, et de la séquestration des époux Delanne, les deux occupants du petit navire. Il passe, en attendant son procès, 39 mois à la prison de la Santé, et parce qu'il se conduit bien, il obtient le droit de plier des polos Lacoste, d’affranchir des enveloppes, et de mettre en boite du champagne et du whisky. L'argent, il l'envoie à sa mère, qui élève son fils à lui.
Acquitté le 30 novembre 2011 parce qu'il n'a pas participé à l'acte de piraterie et qu'il a juste été arrêté par erreur, Abdulahi sort de prison. Il demande le droit d'asile. Sa conduite, entre temps, n'a pas changé : il fait des efforts pour s’intégrer, baragouiner un peu de français. Il doit se débrouiller avec 280 euros par mois, dont 80 passent dans la location de sa chambre, mais il n'a pas le droit de travailler, parce que les textes précisent qu'il doit être sur le sol depuis un an pour prétendre chercher un travail. Ses plus de trois ans dans une prison française ne comptent pas. Absurde.
-Et persiste donc ce sentiment d'isolement
Quand il arrive en France, entravé, après avoir été retenu plusieurs jours en mer sur une frégate de la Marine, Abdulahi Ahmed Guelleh est conduit à la prison de la Santé. La justice refuse qu'il soit incarcéré au même endroit que certains de ses co-accusés. Il ne sait même pas où il est, il ne situe pas la France sur une carte, n'a jamais entendu parler de Paris. Pour son avocat, Abdulahi est alors victime d'un triple isolement : linguistique (il parle somali et rien d'autre donc il ne peut correspondre avec personne en prison) ; culturel (il ne comprend rien à ce qui se passe autour de lui) et psychologique (il est exploité par ses codétenus qui le rackettent et le tabassent). Pourtant, en prison, il tient bon, et il résiste.
Quand il sort après son acquittement, Abdulahi est tout aussi perdu. Rien, dans Paris où il est relâché en pleine nuit, ne le rassure : des gens pressés, des lumières partout... Heureusement, un interprète -celui qui assure les traductions au procès- récupère cet homme de 37 ans alors aussi désemparé qu'un gamin qu'on vient de déraciner.
Abdulahi ose à peine sortir dans la rue. Petit à petit, il s'enhardit. Il vit aujourd'hui dans une chambre d'un foyer de Nanterre qu'il appelle encore sa cellule. Il voulait apprendre le français, mais il n'a pas eu le droit de s'inscrire. Alors, il attend, partagé entre la peur de retourner en prison et le fatalisme de celui qui pense que seul Dieu est maître du destin des hommes.
Une chronique de Franck Cognard