Des attentats de Merah à ceux du 13 novembre, ce juge d'instruction qu'on ne voit jamais dans les medias dirige certaines des enquêtes les plus lourdes.
Christophe Teissier est devenu une référence de l'antiterrorisme: il l'a pratiqué comme chef du parquet spécialisé à Paris, à partir de 2001, comme avocat général aux assises, à partir de 2004, et depuis 2009 comme juge d'instruction. Au procès Merah on l'a vu résumer quatre ans d'enquête en trois quart d'heure. A la réunion des parties civiles du 13 novembre, un exposé précis d'une heure et demie remet en perspective près de 30 000 procès-verbaux. Toujours sans note, avec son léger accent du midi.
Bien sûr, on peut toujours déterrer une anecdote moins favorable. Comme ce jour au premier procès d'Yvan Colonna, quand l'avocat général Christophe Teissier demande au médecin légiste d'estimer la taille de l'homme qui a tiré à bout portant sur le préfet Erignac, et s'entend répondre que l'assassin devait être plus grand que l'accusé...
Un bourreau de travail
Le juge Teissier est méthodique et minutieux. Quand il fait repasser au peigne fin un appartement conspiratif ou démonter des armes pour chercher des empreintes à l'intérieur, "cela coûte cher à la justice lance-t-il à un avocat, mais je ne veux rien laisser passer". Un bourreau de travail que l'avocat Jean Reinhart croise régulièrement, il défend des parties civiles du 13 novembre
"Il faut voir comment il travaille, son bureau est un capharnaüm épouvantable... C'est un bourreau de travail, on le voit dès le matin très tôt, et il repart très tard le soir, c'est un peu un moine-soldat en ce sens, et il a un appétit de connaître et de maîtriser les choses. C'est vrai qu'il y a son obsession de dire, "je continue et est-ce qu'on ne pourrait pas aller revisiter telle pièce, et refaire une expertise ADN. Alors cela fait que ce n'est pas un caractère toujours très drôle, il est sur des rails, et pour pousser un aiguillage avec lui il faut être très persuasif parce qu'il est habité par la connaissance qu'il a du dossier et des suites qu'il veut en donner".
Au sein de la galerie Saint-Eloi, qui abrite les cabinets des juges antiterroristes au palais de justice de Paris, Christophe Teissier est décrit comme charmant et bon camarade. Un homme cultivé, qui aime les livres anciens, se passionne pour l'histoire du protestantisme, et lance parfois à ses collègues des citations latines.
Chez les avocats, certains lui reprochent aussi d'avoir gardé des réflexes de procureur. Christophe Teissier a partagé sa carrière entre l'instruction et le ministère public. Il a commencé en 1990 comme juge d'instruction, à Châlons-sur-Marne, Pontoise, et Bobigny. Puis il est passé au parquet, du côté de l'accusation, pendant 13 ans. Les avocats de la défense lui reprochent volontiers de ne pas voir l'humain derrière les indices graves et concordants qui font un mis en examen.
L'été dernier en tous cas, il est intervenu quand Salah Abdeslam, le terroriste survivant du commando du 13 novembre, a montré une santé mentale défaillante raconte Jean Reinhart:
"Il est informé par les services pénitentiaires que M. Abdeslam n'est plus dans un état tout à fait normal. Christophe Teissier prend le temps d'aller en prison, non pas pour le rencontrer, parce qu'il considère que ce serait une faute, et il a raison, au niveau de la procédure pénale. Mais il visite la cellule-miroir (on change M. Abdeslam de cellule régulièrement pour des raisons de sécurité, donc il y a deux cellules qui sont exactement les mêmes), là il va s'apercevoir qu'il y a des éléments qui concourrent à l'isolement trop profond de M. Abdeslam, et il va prendre un certain nombre de mesures pour permettre que M. Abdeslam reprenne un peu vie et un contact humain, ce qu'il va permettre auprès de la famille".
Travail d'équipe
Cette semaine Christophe Teissier a tenté à nouveau de faire parler Salah Abdeslam, en vain. Il a annoncé aux parties civiles qu'il espèrait terminer l'enquête au printemps 2019. Sans doute a-t-il aussi en tête qu'il devra ensuite quitter la galerie Saint-Eloi: un juge ne peut rester plus de dix dans la même fonction, c'est la règle. La relève est là, d'autres juges qu'il a contribué à former aux arcanes de l'antiterrorisme. Sans se mettre en avant, car juge d'instruction, sur des dossiers aussi lourds, c'est devenu un travail d'équipe. Aujourd'hui me dit un de ses collègues, on est une "dream team".
L'équipe
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