"Je veux retourner chez moi, je prendrai mon traitement"

Cour d'appel de Paris, jeudi 7 mai
Cour d'appel de Paris, jeudi 7 mai ©Radio France - Corinne Audouin
Cour d'appel de Paris, jeudi 7 mai ©Radio France - Corinne Audouin
Cour d'appel de Paris, jeudi 7 mai ©Radio France - Corinne Audouin
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Ce sont des audiences peu connues : celles qui touchent au contrôle de l’hospitalisation psychiatrique sans consentement. Comme tous les contentieux urgents, elles continuent pendant le confinement. Compte-rendu d'une audience à la cour d'appel de Paris.

Le vieux palais de justice, sur l’île de la Cité - le seul, le vrai, vous diront les nostalgiques - n’abrite désormais plus que la Cour de cassation et la cour d’appel de Paris. Déjà calme en temps normal, depuis que l’agitation des audiences correctionnelles a déménagé vers le tribunal des Batignolles, les couloirs de marbre n’ont jamais été aussi désertés. On suit les rubans rouges et blancs posés pour déterminer le sens de la circulation, avant le début de la reprise d’une activité à peu près normale, lundi 11 mai. 

Escalier Z, deuxième étage, salle Jean Vassogne. Derrière la lourde porte en bois,  déception : la salle est moche, moquette bleue foncée, mur assorti, faux plafond hors d'âge ; au milieu, des tables en bois foncé sont disposés en un grand carré. Ici, tous les lundis et jeudis, la justice examine l’appel des personnes placées en hôpital psychiatrique sans leur consentement. Ce matin, c’est Sylvie Fetizon qui officie. La magistrate est ravie qu’on s’intéresse à ce contentieux méconnu, même si, elle le regrette, avec le confinement, les malades ne sont pas là. Un seul, sur 5 affaires examinées, est venu plaider sa cause ; il est accompagné d’un infirmier et de son avocate. Deux avocats représentent les autres patients, le parquet a transmis ses réquisitions, mais n’est pas présent. L’indispensable greffière, garante de la validité de la procédure, est là. Et c’est tout.

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Ce que ces patients demandent à la juge, c’est de les laisser sortir de l’hôpital psychiatrique. Un juge des libertés et de la détention a déjà statué qu’ils devaient y rester. Ils sont hospitalisés sous contrainte, sur décision du préfet, essentiellement parce qu’ils pourraient se mettre en danger.  

On examine le cas d’Aurélie*, 23 ans, hospitalisée pour une anorexie mentale sévère. Le certificat du psychiatre parle de déni de sa maladie, dit qu’elle refuse la prise en charge, qu'il faut la surveiller, car elle est en danger. Son avocat explique : "Elle veut bien être hospitalisée, mais près de chez ses parents ou de son compagnon; à Paris, elle ne connaît personne !". Françoise*, la soixantaine, vit en Suisse. Elle a été interpellée devant le palais de l’Elysée; elle a des idées délirantes, des hallucinations. "Elle voulait faire quoi, voir le président ?" demande la juge. "C’est assez flou" reconnaît son avocat, qui explique qu’elle va déjà mieux. 

Yassine*, lui, souffre d’un délire de persécution, il se sent très mal à l’hôpital, il ne fait que dormir. "Je veux retourner chez moi, je prendrai mon traitement" assure-t-il dans sa lettre à la magistrate. Même chose pour Cédric*. "Il veut choisir ses soins, il n’a pas confiance en cet hôpital", plaide son avocate, "or pour qu’un traitement marche, il faut que le patient en soit partie prenante."

Pour la juge, la marge est étroite. Il ne s’agit pas de se substituer au médecin, mais de contrôler si la mesure est justifiée, et comprise par le patient. Gabriel*, lui, est venu en personne. C’est un jeune homme barbu, avec une pochette verte à la main, où sont rangés ses documents. Il a subi un épisode délirant, il ne supporte pas le confinement ; on l’a trouvé errant dans Paris. Mais Gabriel, comme c’est son droit, préfère que son affaire soit examinée à huis clos. L’infirmier et la presse restent donc dehors. 

Ici, m’expliquera ensuite la magistrate, on essaie de trouver la meilleure solution, celle qui est dans l’intérêt de la personne. Et ce n’est pas forcément de la laisser sortir de l’hôpital. Ce qu’elle aime, c’est écouter et comprendre, alors elle regrette d’en savoir en général si peu, pour appuyer sa décision de confirmer, ou de lever l’hospitalisation. Ont-ils un travail, une famille, un logement ? Souvent, elle ne sait pas. Parfois, les parents viennent. Ce matin, dans un dossier, il y avait la lettre d’un père, "une lettre très touchante ", dit-elle.

Sylvie Fetizon repart avec ses dossiers sous le bras, pour aller rédiger ses décisions. Elle dit que personne ne s’intéresse trop à ce qui se passe ici. On lui promet qu’on reviendra. 

*tous les prénoms ont été changés

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