Procès de "cons" (rediffusion)

France Inter
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Par Jean-Philippe Deniau

Rediffusion du 14 septembre 2012

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un "mur des cons" syndical fait hurler la droite
un "mur des cons" syndical fait hurler la droite
© reuters

Après le célèbre "casse toi pauv'con" de Nicolas Sarkozy, après la variante "casse toi riche con" que Libération avait lancé l'été dernier à l'adresse de Bernard Arnault, le mot "con" a une fois encore été à la une de l'actualité cette semaine avec le mur du même nom, pour désigner cette œuvre satirique du Syndicat de la Magistrature qui n'était pas vraiment destinée à être révélée au grand public.

En tout cas, cette prolifération de "cons" incite à se poser la question de savoir si le mot est une injure.

En juin 1985, dans le jeune hebdomadaire l'Evènement du Jeudi , le patron, Jean-François Kahn, écrit un article au vitriol dans lequel il écharpe son confrère éditorialiste de France Soir , Guy Baret, dont il n'apprécie guère les prises de position très droitière. Et Jean-François Kahn de conclure : « Si tous les cons volaient, Baret serait pilote de ligne ». Six mois plus tard (car à l'époque on jugeait ce type d'affaire en moins de six mois), le procès s'ouvre devant la 17ème chambre du tribunal correctionnel. Et là, contre toute attente, loin de s'excuser, loin de tenter de démontrer que le mot « con » n'est peut-être pas vraiment une injure, Jean-François Kahn va s'amuser, devant ses juges, à prouver que s'il a traité son confrère de « con », c'est qu'il en est un. Son avocat, Jean-Yves Dupeux, se souviendra toute sa vie de cette audience qui a très vite tourné à la farce.

Jean-Yves Dupeux : « Il a choisi quelques éditoriaux qui étaient effectivement, entre nous soit dit, des ‘perles’, il a lu chacun de ces éditoriaux, et il a terminé chaque lecture par cette phrase : ‘monsieur le président, lorsque je lis ça, je me dis celui-ci, soit il est con, soit c’est plus grave’. Et il l’a fait pour un certains nombres d’éditoriaux et il faut bien dire que la salle toute entière, à la fin, reprenait presque en chœur avec lui sa propres phrase de conclusion : soit il est con, soit alors c’est plus grave’. Tout cela a tourné, il faut bien le dire, au ridicule de celui qui était à l’origine de cette plainte pour injure »

-Cela a-t-il convaincu le tribunal ?

Oui et non. Non parce que Jean-François Kahn a été condamné à 1500 francs d'amende. Mais le tribunal lui a trouvé quelques circonstances atténuantes, en relevant tout d'abord que si on connait l'origine du mot « con », qui désigne l'organe sexuel de la femme depuis le XIIIème siècle, il est impossible de dater l'apparition de sa signification injurieuse. Malicieux, le jugement souligne que dans la phrase « si tous les cons volaient, Baret serait pilote de ligne », le prévenu semble vouloir dire que la victime est un con, mais un con de qualité.

Par ailleurs, poursuit le tribunal, la sagesse populaire n'affirme-t-elle pas « un con trouve tout con » ? Ce mot serait donc « un miroir qui renvoie la fidèle image de celui qui l'utilise à tort et à travers». Version adulte du fameux « c'est celui qui dit qui est ». Et le tribunal de conclure que « toutes ces considérations incitent à l'indulgence » et qu'il fera au prévenu « une application modérée de la loi ». Pour finir, on retiendra que le lendemain de ce procès, le journal Libération avait titré sa chronique judiciaire : « ça déconne à pleins tubes au tribunal ».