

Suite de notre rencontre avec Elyette Ségard qui a tenu pendant cinquante ans le mythique bistrot de la rue Caulaincourt "Au Rêve". Journalistes, intellectuels, artistes et habitants du quartier s'y retrouvaient pour discuter et faire la fête. Un lieu magique qui respirait l'âme de la Butte.
Orpheline de père et de mère à dix-neuf ans, avec à sa charge son frère cadet, Elyette a dû très jeune se retrousser les manches pour faire tourner le bistrot familial, hérité de ses parents en 1964. Si elle n'a pas pu aller chercher la culture et le savoir à l'université, elle les a fait venir à elle en créant dans son bistrot une ambiance qui lui a permis de se forger un cercle d'amis et de connaissances issus du milieu culturel parisien.
Comme je savais que j'étais là pour longtemps, j'ai essayé de crée une ambiance et de réunir des gens qui étaient agréables et intéressants. Par exemple, le gars qui veut jouer au tiercé, il n'avait rien à faire là. On n'avait rien à se dire. On était un noyau, ce n'était pas trop intellectuel, mais c'était culturel. On a eu des personnes extraordinaires, alors j'apprenais beaucoup de choses comme ça, et c'était pour moi formidable.
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Auteurs de bande-dessinées, journalistes, cinéastes, monteuses de films - les locaux de Pathé-Cinéma se trouvaient juste à côté de la rue Caulaincourt- tous se retrouvaient au "Rêve" pour discuter et faire la fête jusqu'à l'heure de la fermeture. Dans la lignée des "mères Lyonnaises" d'autrefois, Elyette tenait le zinc et concoctait les dîners, tandis que son mari Picsou - surnommé ainsi car il était banquier- s'occupait de la cave. Un bistrot sans prétention, où le bar occupait presque tout l'espace et qui respirait l'âme de la Butte, celle d'un Paris à la fois savant et populaire, joyeux et frondeur.

Mais en 2008, a soixante-cinq ans, Elyette sent la lassitude monter et décide de tirer sa révérence. Trop de gens sont partis ou sont morts et le Rêve, pour elle, s'est peuplé de fantômes. Pour ne pas devenir la "conteuse du musée", et pour profiter de sa retraite bien méritée, elle baisse pour une dernière fois le rideau et s'embarque vers de nouvelles aventures. Avec l'argent de la vente du Rêve, Elyette et Picsou partent en voyage.
J'ai dit a Picsou "Fouette cocher, on y va!" et on a fait trois fois le tour du monde! On est allés aux Marquises, sur la tombe de Jacques Brel (NDLA: Jacques Brel fréquentait le Rêve du temps du père d'Elyette). J'y ai déposé un caillou avec écrit dessus "Montmartre se souvient. Au Rêve." Et ce qui était rigolo, c'est que la deuxième fois que j'y suis allée, il y avait plein d'autres petits cailloux!
Aujourd'hui âgée de soixante-dix-sept ans, Elyette n'a pas fini de croquer la vie. Elle se prépare à faire un nouveau tour du monde et espère que le "Rêve" continuera de faire vivre le quartier.

Mis aux enchères publiques en mars 2021, le bistrot a pourtant bien failli disparaître. Sauvé in extremis de la fermeture définitive, il est à l'heure actuelle en travaux.

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