Vivre fluide, avec Mathilde Ramadier

Mathilde Ramadier en juin 2022
Mathilde Ramadier en juin 2022 ©AFP - JOEL SAGET
Mathilde Ramadier en juin 2022 ©AFP - JOEL SAGET
Mathilde Ramadier en juin 2022 ©AFP - JOEL SAGET
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"Vivre fluide, quand les femmes s’émancipent de l’hétérosexualité", c’est le titre du dernier essai de Mathilde Ramadier.

Avec

"Au commencement était… Marco. De beaux yeux bleus, bleus d’amoureux. Qui la regardent, ne regardent qu’elle, on est à l’école maternelle… Au bac à sable, tous les deux, ils aiment tant sentir sous leurs doigts, la douceur du grain qui s’en va.

Mais elle aussi, elle a des doigts. Et longs et fins, et prodigieux, ils tapent, voltigent, sur le clavier, et dans son ventre c’est le feu. La prof de piano la fascine, et ses épaules, et ses cheveux…

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Oui mais après, il y a eu Pierre, c’était à l’entrée en primaire : début des fêtes d’anniversaire, il la fait danser et tourner, et elle sent son cœur chavirer… Pour des sirènes, des magiciennes, des amazones toutes nues, qu’elle dessine sur des bouts de papier. Ses héroïnes sont des guerrières, aventurières chevelues, peuplent des rêves échevelés… "

Mathilde Ramadier fait paraître le livre Vivre fluide, Quand les femmes s'émancipent de l'hétérosexualité, aux éditions du Faubourg. Elle est l'invitée d' En Marge.

Le parcours de Mathilde Ramadier

Mathilde Ramadier naît le 17 décembre 1987 à la maternité de Valence, dans la Drôme. Petite, elle a les cheveux très longs, et colle des cœurs et des poneys sur les murs de sa chambre. Mais elle ne veut pas mettre de robes, car elle trouve les pantalons plus pratiques. Elle est alors traitée de "garçon manqué". Elle nous explique pourquoi cette désignation, encore employée actuellement pour parler de certaines petites filles, est problématique. C'est doublement dévalorisant car "ça suppose déjà qu'on ait quelque chose de manqué, et donc de manquant. Et puis, ça suppose en second que le modèle à atteindre serait absolument le modèle masculin."

Petite, ses héros sont surtout des héroïnes : "Des héroïnes puissantes, peut-être un peu marginales. Je repense effectivement à la figure de la sorcière. [...] Oui, des figures d'attachement et de fascination. Parce que se développent en elles et à travers elles quelque chose de mystérieux, pas mystérieux pour envelopper encore une fois la femme sous une couche de mystère qui fait qu'on ne la comprend pas, mais mystérieux au sens de liberté."

En arrivant à Paris, en parallèle de ses études, elle fréquente la communauté LGBT, sort beaucoup, et commence à se définir comme queer. Elle part ensuite à Berlin, haut lieu de fête. C'est le début de l'écriture et des années de précarité économique aussi. Elle vit maintenant entre Berlin et le Sud de la France.

Elle est aujourd'hui journaliste, chroniqueuse, autrice, scénariste de bandes dessinées, animée par quelques obsessions que sont l'écologie, le féminisme, le monde du travail et la psychanalyse. Avec ce livre, elle lance un appel à l'émancipation face à une norme hétérosexuelle qui étouffe. Mais c'est aussi le récit d'une affirmation d'elle-même, de son parcours.

La bisexualité  : une reconnaissance récente

Beaucoup de fausses idées circulent et de stéréotypes persistent sur la bisexualité, et notamment que ça n'existe pas, que ce serait un état transitoire. Mathilde Ramadier explique : "je pense qu'on a tous en soi des principes masculins, féminins, qui cohabitent et qu'on peut, au gré de la vie, de nos expériences, explorer. Sauf que très longtemps, à l'instar de Christine Delphy [une des fondatrices du MLF, lesbienne], on la niait."

Il y a aussi un stéréotype sur la traîtrise, la lâcheté de la femme qui n'assumerait pas ce qu'elle est, ce que reprochent des lesbiennes aux femmes bisexuelles ou pansexuelles. Mathilde Ramadier prend son exemple personnel : "Non, c'est une pluralité de choses, une multitude qui m'a constituée, avec laquelle j'ai joué, mais pas au sens de jouer pour bluffer les autres. J'ai joué pour vivre au maximum."

Pour les femmes bisexuelles, il n'y a pas de role models, tant cette orientation a été longtemps taboue. Dans le livre, Mathilde Ramadier cherche à retrouver les traces de femmes qui ont su expérimenter et donner libre cours à leurs désirs, à leurs aspirations, à leur créativité, au-delà de la norme imposée et binaire, à l'instar de Marlene Dietrich, de Greta Garbo ou Joséphine Baker.

C'est très récent que l'on considère la bisexualité comme une orientation. Mathilde Ramadier préfère cependant parler de fluidité.

Vivre fluide

Vivre fluide, c'est le titre de son livre, et Mathilde Ramadier l'a choisi avec soin. Elle a préféré ne pas employer le mot de bisexualité, car les jeunes générations utilisent plutôt le terme de pansexualité. L'autrice explique ce parti pris : "On sort de la binarité, c'est-à-dire qu'on a tendance à considérer que le terme de bisexuel entérine encore la binarité de genre, et je dirais même aussi la polarisation entre hétéros et homos. Or, on sait depuis une étude célèbre de 1953 qu'il y a plein de variations entre les deux, que c'est très vaste, et c'est pour ça que j'ai préféré le terme de 'fluide', qui est beaucoup plus joli je trouve. Il n'y a pas le mot sexuel dedans, c'est plus vaste et on peut se l'approprier à sa guise."

D'après une étude de l'Ifop, 18% des femmes sont attirées par une autre femme, 10% ont déjà eu une relation avec une autre femme, mais seulement 3% se définissent comme bisexuelles. Ce qui semble montrer que du fantasme à la pratique, il y a un écart important, et puis de la pratique à l'identité d'autant plus. Pour Mathilde Ramadier, il n'y a aucune aucune obligation à sauter le pas, "Il n'y a aucune injonction, en tout cas, ça ne viendra sûrement pas de ma part. Mais oui, un fantasme, un désir n'est pas forcément mis en pratique. Et cette mise en pratique ne conduit pas forcément à une habitude qui, elle, ne conduit pas forcément à brandir un drapeau et se définir ainsi."

Selon Mathilde Ramadier, cette bisexualité est très plurielle et bien plus répandue que l'hétérosexualité. Plutôt que parler d'identité, elle préfère parler de situation, comme elle l'explique : "c'est quelque chose dont on peut déplacer les curseurs au gré de nos envies, mais au sens quasi existentiel. C'est-à-dire que l'expérience va précéder l'essence et donc on a le droit de changer au cours de la vie. On peut se dire comme ci, comme ça, à un moment, et pourquoi pas y revenir plus tard. On ne cherche pas à rejoindre un ordre ou un parti politique."

🎧 Écoutez cet entretien passionnant dans son intégralité.

Parutions

Vivre fluide, quand les femmes s’émancipent de l’hétérosexualité, publié aux éditions du Faubourg.

Corps public, de Mathilde Ramadier et Camille Ulrich, bande dessinée publiée aux éditions du Faubourg.

PROGRAMMATION MUSICALE

Luz and the Yakuza, « Monsters »

Von Spar, « Scotch and Chablis »

Charlotte Adigery, « Ceci n’est pas un cliché »

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