

Ce matin, Anne-Cécile Mailfert écrit une lettre à une féministe en guerre.
Et ce matin, lettre à une féministe en guerre…
"Chère Inna Shevchenko
Je t’ai rencontrée il y a neuf ans, lors de la première réunion publique des Femens au Lavoir Moderne, où vous étiez réfugiées. J’étais curieuse de rencontrer ces filles si courageuses, exilées après avoir osé défier et affronter Loukachenko, Poutine et même le FSB.
Activiste féministe radicale, tu parlais déjà avec fougue de la guerre que tu menais, une guerre de la modernité contre les traditions, de la liberté contre l’oppression, de l’égalité contre la domination.
Industrie du sexe, religion et dictature étaient tes cibles. Comme beaucoup, je ne saisis que maintenant l’ampleur du danger sur lequel tu alertais.
Cette semaine, c’est une autre parole que tu nous donnes à entendre : celle d’une Ukrainienne qui porte la voix d’un peuple assiégé. Celle d’une fille du pays, inquiète pour ses proches bombardés. Celle d’une jeune maman qui pense au monde dont héritera sa fille. Tu dis : Poutine ne nous fait pas peur, car nous sommes un peuple debout.
Il y a tes frères et sœurs qui résistent et qui ont pris les armes pour défendre leur pays
Il y a ceux aussi qui tâtonnent vers l’ouest avec leurs enfants en cherchant la survie. Ils et elles sont des millions répartis sur le territoire ukrainien en attendant que les armes se taisent, espérant retrouver leurs proches et leurs biens. Sur place, les enfants et les femmes ne meurent pas seulement à cause des armements mais aussi par manque de nourriture et de médicaments.
Alors il y a celles et ceux qui partent : l’ONU évalue déjà à un million ceux et surtout celles qui fuient le pays et la guerre. La paix n’est pas forcément la sécurité, déjà on rapporte les proxénètes qui rôdent aux frontières.
L’urgence c’est bien entendu d’assurer des couloirs humanitaires et l’accueil au plus près sur le chemin des déplacés. C’est aussi de garder ouvertes nos frontières pour leur permettre de trouver la route de la paix.
Pour toi, l’agression de Poutine est la conséquence directe de la lâcheté occidentale depuis des années.
Mais voilà qu’enfin, enfin l’Europe étonne ! Ce continent qui nous avait habitués à dresser des murs plutôt qu’à construire des ponts. Enfin on ne dit plus non. Emmanuel Macron l’a dit, en matière de réfugiés : « la France y prendra sa part ». C’est dans ces moments tragiques que se juge un politique, au dirigeant qui ouvre ou ferme la porte.
Chère Inna Shevchenko, et dire qu’il y a huit ans, certains s’offusquaient du bon accueil dont tu bénéficiais et de ton statut de réfugiée… j’ai voulu t’appeler, tu m’as dit que tu ne pouvais pas parler car tu ne fais que pleurer.
Alors tu écris “Aujourd’hui, l’Ukraine semble se battre seule contre un ennemi puissant. Elle se bat pour les valeurs que l’Europe était censée défendre, mais dont elle a oublié le sens**.”**
Ces valeurs, tu les brandissais hier sur ta poitrine fière. Aujourd’hui c’est ton bébé que tu y serres. Les yeux rivés vers Kiev en espérant que survive son drapeau, ton peuple pluriséculaire et ses centrales nucléaires. Qui oserait aujourd’hui te reprocher ta colère."
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