Lettre à Françoise d’Eaubonne

J’ai pensé à vous récemment et à quel point vos idées étaient ignorées. A un diner une femme m’a demandé : “Mais c’est quoi ce truc, l’éco-féminisme” ? J’ai eu envie de lui répondre que vu l’état de la planète il était peut-être déjà trop tard pour lui expliquer. Que si on vous avait écoutée, Françoise, on aurait eu le temps d’en discuter.

Et puis j’ai pensé à la COP26 qui se tient cette semaine et je me suis dit qu'on n'avait pas le droit d’être défaitistes. Alors je me suis lancée. Je suis partie d’une comparaison simple : les terres agricoles sont épuisées à force d’être trop exploitées, parce qu’elles sont au service d’une domination humaine qui n’a pas de limite. Les femmes sont épuisées à force d’être trop exploitées, parce qu’elles sont au service d’une domination masculine sans limite. 

La dynamique destructrice est la même : c’est la domination des hommes sur les femmes et la nature qui fait la crise environnementale

D’ailleurs ce que dénoncent à la fois les témoignages #MeToo et les marches pour le climat c’est cette même logique de tout posséder, tout dominer et tout détruire, pour satisfaire les besoins, les envies et les égos. Non, l’Homme n’a ni droit de cuissage, ni droit de pillage. Je ne suis pas sûre d’avoir convaincu la dame, mais j’ai peut-être semé le doute. 

Ecrivaine prolixe, militante de tous les combats du XXe seiècle, vous avez été marginalisée avant de mourir dans l’oubli

Et pourtant votre œuvre a essaimé. Vous inventez des nouveaux termes, comme “phallocrate” ou “sexocide” qui deviendra “féminicide” avant de forger l’écoféminisme en 1972. Vos graines germent sur des terres lointaines aux États Unis puis en Inde ou Vandana Shiva se l’approprie pour en faire le pilier du féminisme altermondialiste. 

Depuis quelques années, on vous redécouvre. Partout de jeunes femmes conscientes de leur avenir et de leurs droits haussent le ton : Greta Thunberg, Vanessa Nakate et Cette semaine Charlotte Soulary publie  “Le Féminisme pour sauver la planète”. Toutes, parfois sans le savoir, sont héritières de vos idées. Mais ce n’est toujours pas gagné : si j’en crois les caricatures faites par les médias des idées de la candidate écolo Sandrine Rousseau, vos théories suscitent encore bien des railleries. 

A Glasglow, la COP se termine mais les émissions ont augmenté de 60% depuis la première de ces 26 conférences

Le gouvernement français a été condamné pour inaction climatique par "L’Affaire du Siècle". Les engagements actuels des Etats sont sept fois moins ambitieux que ce qui serait nécessaire pour rester à +1,5 degré. Mais peu lui importe, Boris Johnson finit la cop dans un jet privé pour rejoindre un club réservé aux hommes. La maison brûle, les femmes sont à l’intérieur et les décideurs regardent ailleurs. Le temps nous échappe. Avons-nous encore le luxe d’attendre que nos chefs d’Etat cessent de vous ignorer et commencent à nous écouter.