Lettre à Patrick Poivre d'Arvor

Patrick Poivre d'Arvor le 12 janvier 2020
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Patrick Poivre d'Arvor le 12 janvier 2020 ©Getty - Eric Fougere/Corbis
Patrick Poivre d'Arvor le 12 janvier 2020 ©Getty - Eric Fougere/Corbis
Patrick Poivre d'Arvor le 12 janvier 2020 ©Getty - Eric Fougere/Corbis
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Anne-Cécile Mailfert a écrit une lettre à l'ancien présentateur du 20 heures de TF1, accusé de viols et d'agressions sexuelles.

"Cher PPDA,

Pendant trente années, vous étiez à table tous les soirs avec les Français. A l’heure du repas, on se servait la soupe et vous nous serviez la vérité. Ce que vous disiez existait. Ce que vous taisiez ne s’était pas passé.

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Mardi dernier, sur Mediapart, ce sont d’autres personnes qui, à l’écran, ont dit leur vérité. 20 femmes, ensemble, qui depuis des mois, l’une après l’autre, osaient dire une vérité qui vous dérange, une vérité qui vous accuse. De viols, mais pas seulement. D’agressions, de harcèlement, de comportements inappropriés.

Mais lorsqu’elles ont parlé vous avez préféré faire l’offensé, le blessé, le diffamé.

Alors, le 26 avril dernier, vous portez plainte contre 16 femmes pour "diffamation". C’est ce qu’on appelle une procédure bâillon : faire peur pour faire taire. Mais de 16 elles sont maintenant 20. D’inconnues, sœurs d’infortunes elles sont devenues.

Quelle ironie du sort. Vous, que tout semblait protéger, à commencer par la prescription, aviez tout pour échapper à un procès.

Et voilà que c’est vous qui le provoquez. Bientôt, votre confiance et ses excès, votre impunité si longtemps préservée va se fissurer. Vous allez bientôt découvrir une nouvelle vérité : oui les femmes ont le droit de parler.

Depuis 10 ans la jurisprudence est constante et depuis #MeToo elle tend même à se renforcer. Ainsi en 2011, grâce au formidable travail de l’AVFT, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a épinglé la France pour avoir abusivement condamné une femme victime de viol pour dénonciation calomnieuse, conduisant à une révision de ce délit.

Les agresseurs ont alors dû trouver un autre outil de dissuasion : les procédures en diffamation se sont multipliées

Le procédé est d’une étonnante simplicité : transformer ainsi les victimes en accusées, et s’assurer d’un silence à perpétuité.

En 2019, c’est Denis Baupin, qui, comme vous, en voulant bailloner s'est créé son propre procès, que la justice pénale lui avait pourtant évité. Résultat il fut finalement condamné… pour procédure abusive.

Et enfin, ce mercredi, la Cour de Cassation a confirmé deux décisions en appel en ce qui concerne Pierre Joxe et Eric Brion. Elle confirme à nouveau ce que nous savions : les femmes peuvent parler, car leur parole est d’intérêt général. Je vous le répète pour que vous l’entendiez bien : la parole des femmes victimes de violences sexuelles est d’intérêt général.

J’en conviens, la situation est paradoxale

En France la justice protège le droit à la parole, mais rechigne à condamner pour viol. Les femmes ne mentent pas, mais les violeurs ne violent pas. Faute de mieux, on relâche le bâillon.

Cher PPDA, hier vous racontiez l’histoire. Aujourd'hui, ce sont elles qui sont en train de la faire. Admirez-les, ces femmes qui disent leur vérité, fortes et solidaires, admirez cette fierté qui est maintenant de leur côté. Elles ont raison d’y croire. Vous avez perdu. Car la justice nous reconnaît une valeur dont vous n’auriez jamais dû vous détourner : notre invincible droit à la vérité."