Thérèse Clerc, une vieille cool

Thérèse Clerc
vidéo
Thérèse Clerc ©AFP - Bertrand Langlois
Thérèse Clerc ©AFP - Bertrand Langlois
Thérèse Clerc ©AFP - Bertrand Langlois
Publicité

Ce matin, Anne-Cécile écrit une lettre à une militante du « grand âge »

Chère Thérèse Clerc,

Je n’ai pas connu mes aïeules, alors je projette parfois chez les femmes d’un certain âge une ainée idéale. Logiquement quand je t’ai rencontré je me suis dit que j'aurais adoré avoir une grand-mère comme toi. Pour ce que tu fus, pour ce que tu étais et pour ce que tu continues d’inspirer. Lesbienne revendiquée, tu voulais un monde où les femmes sont libres et sans tutelles, debout jusqu’au bout.

Publicité

L’engagement tu l’as découvert auprès des prêtres ouvriers qui t’ont parlé de Marx et de la lutte des classes. Mais c’est la classe de sexe qui est devenue ta paroisse. Pionnière du MLAC, le mouvement pour l’avortement et la contraception, « Thérèse de Montreuil » devient célèbre pour organiser des avortements clandestins à ses risques et périls.

Lorsque la santé de ta mère se dégrade, tu découvres un nouveau combat. Tu te rends compte à quel point la France n'aime pas ses vieux et encore moins ses vieilles : qu’il faut être beau, productif, et bien dans la norme pour compter. Tu défends alors l’idée que la vieillesse n'est pas un naufrage mais au contraire, peut-être même le plus bel âge. Tu veux changer l’imaginaire social et la représentation des vieux. Corollaire de l’imaginaire, c’est la réalité que tu vas changer. 

Tu tenais en horreur les maisons de retraite privée, Orpea et compagnie. Tu aurais hurlé devant les scandales révélés. Les couches qui ne sont pas changées, le dîner servi sans être assis, la cupidité des profits, les vieux qui perdent pieds et les familles qui perdent le fil, le personnel manquant, maltraitant, mal payé, peu qualifié. Je dis nos vieux, mais tu es là première à rappeler que dans ces lieux ce sont d’abord des vieilles. 58% des personnes en EPHAD sont des femmes. 

La réalité des vieilles c’est aussi leur précarité : 76% des retraités vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes. Après avoir servi leurs enfants, puis leurs maris, leurs petits et leurs arrières petits, après une vie de ce travail gratuit, qui prend soin d’elles lorsqu’elles perdent leur énergie?

Les vieilles ont été habituées à se taire, mais pas toi, alors tu te bats. Pendant 18 ans, tu pousses la création d’une anti-maison de retraite : autogérée, solidaire, écologique, féministe : la Maison des Babayagas. Ce lieu du vieillir autrement, nommé d’après le nom des sorcières des contes russes, est inauguré en 2013 à Montreuil. Cette utopie réaliste prend la forme d’une maison collective pour retraitées à faible revenus, qui ne place pas les femmes en situation de dépendance, mais se voit comme un lieu ouvert sur la ville où les femmes se prennent en charge et s’entraident pour bien vieillir, ensemble.

Tu faisais tout ça en riant, en parlant parfois grossièrement, en parlant parfois crûment. Le sexe la vie le plaisir, sur ton visage ton sourire. Sur ta belle figure de femme de 88 ans, tes rides. Tu disais “c’est le plan d’une vie, les chemins qu’on a pris, qu’on n’a pas pris, les chemins buissonniers, les impasses, les grands routes, les raccourcis”. 

Chère Thérèse, il y a 5 ans et 2 jours tu disparaissais. Drôle d’expression, tu vois tu es là, tu es toujours là. Dans nos mémoires, ce matin dans ma voix. Tu appelais les vieilles femmes à s’organiser et à lutter ensemble pour le respect de leur dignité. Moi j’appelle les jeunes et les moins jeunes à soutenir nos aînés, et à se rendre compte qu’avec un peu de chance on passera toutes par là. Vivre c’est savoir qu' on va mourir mais aussi savoir qu' on va vieillir. Alors mieux vaut s’en occuper, avant d être rattrapées par les années. 

L'équipe