Ce matin, Anne-Cécile nous parle de taxe rose...
Monsieur le Pharmacien,
Fanny, stagiaire à la Force Juridique de la Fondation des Femmes m’a raconté une histoire surprenante dont j’aimerais vous faire part. Vers 9h hier matin, elle a franchi la porte de votre officine, prise d’une grosse migraine. C’est souvent ce qui arrive quand on se bat pour l’égalité toute la semaine. Elle voulait du Nurofen. Vous lui avez tendu une petite boîte rose. Elle ne l’a pas reconnue et le nom dessus, non plus : NurofenFEM.
“Vous n’avez pas du Nurofen normal, la boîte rouge ?”vous a-t-elle demandé. Vous avez répondu que ce Nurofen-là était plus efficace contre les règles. Mais, Monsieur le pharmacien, il s’avère qu’elle ne vous avait pas précisé les avoir, ses règles.
Alors elle vous demande à nouveau du Nurofen rouge. Bon gré mal gré, vous lui apportez. Elle compare les deux boîtes :
- Boîte rouge : contre les maux de tête, les états grippaux, les douleurs dentaires, les courbatures et les règles douloureuses, 3,95€.
- Boite rose : contre les maux de tête, les états grippaux, les douleurs dentaires, les courbatures et les règles douloureuses, 4,50€
Vous pouvez facilement vous imaginer que son mal de tête se soit tout à coup accentué.
Si on calcule, les femmes payent donc 14% de plus pour un produit absolument identique. Ça fait cher pour du rose et autres considérations graphiques.
Ça ne vous choque pas, une « taxe rose » si assumée et banalisée, en 2021 ?
Le marketing genré est né aux Etats-Unis, et il signifie qu’en segmentant l’offre de produits selon le sexe du consommateur, les distributeurs et producteurs peuvent démultiplier les intentions d’achat. Un couple achète donc deux produits différents au lieu d’un seul : un rasoir pour homme / un rasoir pour femme. Un dentifrice pour homme/un dentifrice pour femme. En l’occurrence, des médicaments pour elle et des médicaments pour lui.
Je ne vous jette pas la pierre à vous directement Monsieur le pharmacien. Quoique. Mais, il faut rappeler que la taxe rose pose de réels problèmes dans la société. Déjà elle véhicule les stéréotypes de genre, qui provoquent les inégalités. Mais il s’avère aussi que les produits “féminins” sont quasi toujours plus chers que les masculins. C’est particulièrement dérangeant quand on sait, et je sais que vous le savez Monsieur le Pharmacien, que les femmes gagnent en moyenne 24% de moins. Ce n’est pas tout. Dans le livre « Le prix à payer », la journaliste Lucile Quillet se penche sur ce que le couple hétéro coûte aux femmes. Entre carrière ralentie par les tâches domestiques et dépenses pour satisfaire aux injonctions à la beauté, la vérité est que les femmes ne font que raquer.
Dans certains pays, les décideurs politiques ont décidé d’agir sur cette question. Mais en France, non.
Dès 1996, l’Etat de Californie a choisi d’interdire le marketing différencié en fonction des genres. A consommation égale, les Californiennes dépensaient en moyenne 1351 dollars de plus par an que leurs homologues masculins. En 2015 le gouvernement français, lui, a rejeté l’idée de légiférer. Pas vraiment convaincu de l’existence d’un problème, il a préféré engager une concertation avec les acteurs pour trouver des solutions. Six ans plus tard, on a hâte d’en connaître les conclusions.
Alors on attend, ami pharmacien, le NurofenHOM bleu pour les bobos de ces messieurs.
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