Au Tigré éthiopien, la guerre « sans pitié » du prix Nobel de la paix

Une des quelque 30 000 réfugiés éthiopiens arrivés au Soudan, fuyant les combats entre l’armée fédérale et les forces du Tigré. Les humanitaires redoutent d’en voir arriver beaucoup d'autres.
Une des quelque 30 000 réfugiés éthiopiens arrivés au Soudan, fuyant les combats entre l’armée fédérale et les forces du Tigré. Les humanitaires redoutent d’en voir arriver beaucoup d'autres. ©AFP - ASHRAF SHAZLY / AFP
Une des quelque 30 000 réfugiés éthiopiens arrivés au Soudan, fuyant les combats entre l’armée fédérale et les forces du Tigré. Les humanitaires redoutent d’en voir arriver beaucoup d'autres. ©AFP - ASHRAF SHAZLY / AFP
Une des quelque 30 000 réfugiés éthiopiens arrivés au Soudan, fuyant les combats entre l’armée fédérale et les forces du Tigré. Les humanitaires redoutent d’en voir arriver beaucoup d'autres. ©AFP - ASHRAF SHAZLY / AFP
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Le premier ministre éthiopien Abyi Ahmed oppose une fin de non-recevoir aux offres de médiation de ses pairs africains, alors que les combats entre l’armée fédérale et les forces de la province du Tigré ne cessent de prendre de l’ampleur.

Le gouvernement d’Addis Abéba continue de parler d’une simple opération de police contre une province récalcitrante ; mais c’est une véritable guerre, avec blindés, aviation, et des dizaines de milliers de combattants, qui oppose l’armée fédérale éthiopienne aux forces de la province du Tigré, dans le nord du pays.

Trois semaines de combats ont déjà provoqué l’afflux de 30 000 réfugiés au Soudan voisin, et ce nombre pourrait rapidement grimper après l’ultimatum lancé hier soir par le gouvernement aux rebelles : 72 heures pour se rendre. L’armée demande aussi à la population de la capitale tigréenne, Makelle, de se « libérer » des dirigeants du Front de libération du peuple du Tigré, au pouvoir dans la province ; en cas contraire, a-t-elle prévenu, « il n’y aura aucune pitié ».

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Cette escalade rapide et, en effet, sans pitié, s’accompagne d’une position inflexible du premier ministre éthiopien, Abyi Ahmed, vis-à-vis de toute médiation, y compris celle de ses pairs africains. Addis Abéba a opposé une fin de non-recevoir aux tentatives de médiation, celle des voisins de l’Éthiopie, ou celle du Président en exercice de l’Union africaine, le sud-africain Cyril Ramaphosa. Ils seront poliment reçus à Addis Abéba, mais pas question de les laisser aller au Tigré ou de rencontrer les leaders du TPLF, le front tigréen considéré comme des « bandits ».

Pourquoi cette position inflexible ? La réponse se trouve à la fois dans l’histoire particulièrement violente de l’Éthiopie depuis des décennies, et dans la personnalité ambivalente d’Abyi Ahmed, le chef du gouvernement et, ne l’oublions pas, prix Nobel de la paix l’an dernier.

L’histoire nous donne des clés. Le Tigré ne représente que 6% des 100 millions d’habitants de l’Éthiopie, mais il a joué un rôle historique déterminant. C’est du Tigré qu’est partie la résistance à la sanglante dictature de Mengistu Haile Mariam, qui avait renversé l’empire d’Haile Selassie en 1974. Victorieux en 1991, le TPLF a été au pouvoir pendant 17 ans, avec à sa tête un homme fort, Meles Zenawi, réformateur d’une main de fer, qui introduira notamment le fédéralisme en Éthiopie. Sa mort subite en 2012 a marqué le début des problèmes pour les Tigréens, marginalisés après l’élection d’Abyi Ahmed en 2018, et qui l’ont très mal vécu.

La personnalité d’Abyi Ahmed est aussi au cœur de la crise actuelle. Encensé pour ses mesures libérales, le premier ministre éthiopien est également un ancien militaire inflexible, déterminé à s’opposer aux forces centrifuges qui menacent l’unité de l’ex-empire.

Ce contexte laisse envisager un conflit prolongé, car le pouvoir fédéral ne renoncera pas à son offensive jusqu’à ce qu’il ait, au minimum, repris Mekelle, la capitale du Tigré. Or cette ville est à 2500 mètres d’altitude, dans une région montagneuse où les avancées d’une armée régulière sont difficiles.

Quant au front tigréen, il a vraisemblablement envisagé une position de repli dans la guerrilla, avec des forces aguerries, dans une région qui lui est acquise.

Reste l’attitude des pays de la région, qui risquent d’être entrainés dans cette guerre civile, à commencer par l’Érythrée voisine, déjà touchée par les hostilités.

C’est une tragédie pour l’Éthiopie, mais aussi pour l’Afrique, car c’est le deuxième pays le plus peuplé du continent, siège de l’Union africaine, l’une des locomotives d’une introuvable renaissance africaine. L’Afrique doit tout faire pour mettre fin à cette guerre fratricide, aux conséquences dévastatrices.